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d’une classification d’école. » A part « quelques étourdissemens et quelques migraines, » c’est un homme « trop bien portant pour s’alanguir en détraquemens et en névroses[1]. » Il ne s’alanguit pas, soit ; mais alors, c’est qu’il se raidit en névroses. Névroses mitigées certes, et, par quelques côtés, productives et fécondes, mais qui le qualifient mal, à tout prendre, pour concourir au traitement hygiénique des déséquilibres contemporains.

Et d’abord, que penser de ce tempérament physique, dont on nous invite à constater la saine complexion ? Un spécialiste en psychiatrie retrouverait au contraire sans effort dans l’ascendance de Stendhal les symptômes de l’usure physiologique. Son aimable grand-père, le docteur Gagnon, avait des vapeurs, « comme moi, misérable, » écrit Henri Brulard, — l’un des pseudonymes de Beyle, comme on le sait. — Sa mère et cette odieuse tante Séraphie, dont l’inquisition aigre et importune empoisonna son enfance, moururent toutes deux fort jeunes de maux inexpliqués. Veut-on connaître un diagnostic précis sur le tempérament du jeune officier de Milan, vers sa dix-neuvième année : « Ma maladie habituelle est l’ennui... M. Depetas, excellent médecin, m’a dit que j’avais quelques symptômes de nostalgie et de mélancolie. » Dès cette époque, il souffre de gastralgie, de fréquens accès de fièvre : on lui recommande beaucoup d’exercice, jamais de solitude. Les émotions artistiques l’épuisent rapidement et l’abattent sur son lit sans réaction possible. Mlle Mars produit sur lui cet effet dans un rôle des Folies amoureuses, pièce dont l’intrigue n’a pourtant rien de pénible à suivre. Et, surtout, chaque contact avec son paradis d’élection, le théâtre milanais de la Scala, lui procure de semblables défaillances, aussi bien que la plus courte visite à ses musées favoris. Après de si intellectuelles distractions, « ses organes épuisés ne sont plus susceptibles de plaisir, » il « ne peut rien dire tant il est épuisé. » Sa correspondance est semée de plaintes sur son « excessive nervosité, » sur ses crampes d’écrivain. « J’ai des nerfs, » tel est le refrain de ses fréquens couplets personnels. « Enfin, vaille que vaille, quand je n’ai pas de nerfs, c’est-à-dire quatre fois par semaine, je suis content. »

Cet état maladif s’exaspère encore lorsqu’il se prend à préparer pour la première fois un travail de longue haleine, l’Histoire

  1. Préface du Journal de Stendhal. Paris, 1888, p. XXXI et suivantes.