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un voyage à sparte.

combres et des citernes, on y cultive de l’orge. Quels espaces, quelle lumière ! À ma gauche s’élève un pic désert qui ne porte que des touffes de pins ; derrière nous, se développent les escarpemens du Taygète, semés d’éclatans villages et couronnés de glaciers. De ce côté, un vent froid me venait, car Mystra protège, masque une gorge profonde et noire où bondit une immense cascade. Mais si fortes que soient ces vues resserrées de l’Est, nécessairement je m’en détourne pour me réjouir et m’épanouir avec l’immense plaine lumineuse.

À pic sous mes pieds les ruines argentées flamboient sur la côte, qui a des couleurs de plomb. Depuis mes créneaux champenois, par-dessus des églises byzantines, je vois le voluptueux jardin qui recouvre les ruines de Sparte. L’Eurotas s’écoule vers la mer au milieu des collines qui dessinent sa vallée, sous une poussière de soleil enflammant des tons rouges, ocres et verts. Du Taygète au Ménélaion, de l’île de Cythère aux montagnes de l’Arcadie, je contemple, je respire la vallée de Lacédémone.

De là-haut, toute pensée prend une ampleur, une aisance, une jeunesse, comme si l’on buvait du bonheur et de l’immortalité. Je ne connais que les pentes du Vésuve qui m’aient donné cette ivresse. Encore le Vésuve, quand il brûlait avec sa cendre mes yeux, mes lèvres et la semelle de mes chaussures, a-t-il moins excité mon âme que ne fait ce beau volcan d’histoire et de poésie. Ici, l’Islam, les Croisades, Byzance et puis ma Sparte de collège, puissante et morne, se mêlent, se vaporisent sous l’action du sol, de la mer et du ciel. La plaine est sous mon ivresse comme la lyre d’un poète.

Voici donc la patrie d’Hélène ! Bien que l’histoire ait rudement foulé ce beau lit de la Tyndaride, l’âcre parfum d’amour y demeure. C’est un mariage de tous mes sens avec le sommeil d’Hélène. Elle appuie sa tête aux montagnes des Bergers ; le flot marin qui meurt contre ses pieds coupables accourt du royaume de Vénus.

Ignorant, je ne puis comprendre, aux froids couloirs de nos musées, les leçons de l’arbre hellénique. Mais qu’il m’apparaisse, cet arbre, comme un buisson de flammes, au centre des jardins de Sparte, je désire et je trouve un juste accord avec l’antique.

Hélène, une fois encore, tourne vers nous son visage, et dans notre sein attise une ardeur que nulle enfant des hommes ne satisfera. Deux beaux rayons glacés nous suivent de ses yeux,