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institution ni aucune autre ait jamais été tenue par les tortionnaires dont il nous fait un portrait à la Montaigne ; il faut dire même qu’il y travailla un peu mieux qu’il ne l’a prétendu. Il n’en reste pas moins vrai que le séjour lui en parut insupportable, puisqu’en fait il ne put le supporter, et prit, en plein hiver, la clé des champs. Les bons maîtres du petit séminaire de Belley[1] ne réparèrent qu’imparfaitement les lacunes d’une première éducation qui avait été trop longtemps et trop résolument fantaisiste. Victor Hugo, quand il s’agit d’entrer au lycée, éprouva de cette seule perspective une espèce d’horreur, au point qu’il fallut lui accorder une commutation de peine. A la pension Cordier, les mathématiques, le dessin, les essais dramatiques firent tort aux études proprement classiques. Pour ce qui est d’Alfred de Vigny, tout le choquait dans la vie de collège : la sévérité des maîtres, la brutalité des camarades, la grossièreté du langage, la malpropreté du régime. Élève de la pension Hix, il n’oublia jamais le dégoût qu’elle avait inspiré à son enfance : « Pour satisfaire à la fois ma détestation du collège et la joie de ma délivrance, je réclamais chaque soir des gens qui me venaient chercher le privilège de refermer avec force la porte cochère de la prison que j’aurais voulu briser. » On ne profite guère d’études faites dans de telles conditions : comme Lamartine et comme Hugo, Vigny sortit du collège fort ignorant de tout ce qu’on y enseigne. Je sais bien qu’ils refirent ensuite leurs études à leur gré et suivant leur fantaisie. Ils se donnèrent à eux-mêmes cette éducation dont on a coutume de dire que c’est la meilleure, mais qui, en réalité, n’en est pas une, puisqu’elle n’a pour guide que le hasard, et ne reflète que notre caprice. Ce n’est un mystère pour personne qu’une fois libérés du collège les jeunes gens s’empressent de refermer les livres classiques, pour n’en plus ouvrir que de modernes ou d’étrangers. Ce fut, à peu de chose près, le cas pour ces illustres et détestables écoliers. Ils lurent des livres de toutes mains ; ils en lurent qui étaient du Nord et qui étaient du Midi ; ils lurent jusqu’à la Bible, qu’on venait de découvrir en tant qu’ouvrage littéraire ; l’antiquité ne fut pas l’institutrice de leur esprit.

Ce qui n’est guère moins curieux ni moins nouveau, c’est que l’éveil de leur imagination leur viendra en partie du séjour qu’ils ont fait hors de France sous un ciel et dans un climat différent du nôtre. Sans y attacher trop d’importance, il n’est que juste de signaler les

  1. Marius Déjey, le Séjour de Lamartine à Belley, 1 vol. in-8o (Vitte et Amat).