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timidités inutiles ; elles ont contribué à amoindrir l’idée que les Marocains se faisaient de la puissance de la France et la crainte qu’elle leur inspirait. En attendant tout d’une mission diplomatique, conçue et préparée comme s’il s’agissait de négocier avec le souverain d’un État européen, on s’exposait, au cas où cette mission viendrait à ne pas aboutir, à rester presque désarmé.

Cette mission elle-même, on en compromettait par avance le succès en l’envoyant trop tard. Partie aussitôt après l’accord du 8 avril, ou tout au moins immédiatement après l’accord avec l’Espagne, l’ambassade de M. Saint-René Taillandier aurait encore pu réussir à enlever dès les premiers entretiens l’adhésion du Sultan à nos principaux projets de réformes. La signature de l’accord avec l’Angleterre avait, durant les premières semaines, fait croire à Mouley-abd-el-Aziz qu’il était abandonné de l’Europe ; que le jeu de bascule qui, depuis si longtemps, réussissait à ses prédécesseurs et à lui-même, allait devenir impraticable ; et qu’il faudrait en passer par les volontés de la France. C’est ce moment qu’il aurait fallu saisir ; mais, dès qu’il eut en mains le traité avec l’Angleterre, le ministre des Affaires étrangères se crut « le maître de l’heure ; » la négociation à conduire au Maroc même ne lui apparut plus que comme une formalité dont le résultat était d’avance certain et dans laquelle il importait surtout de ne pas alarmer les susceptibilités pacifistes du Parlement.

Lorsque enfin la mission française fut parvenue à Fez (26 janvier), ses instructions comportaient tant de réserves et de précautions qu’elle en parut comme paralysée. Aucune action extérieure ne venait seconder son effort ; plus que jamais les initiatives privées, qui auraient pu exercer une pression sur le Maghzen, furent découragées, plus que jamais des instructions sévères furent données dans toute la région frontière pour qu’aucun incident ne vînt rappeler qu’il existait en Algérie une puissance française et des intérêts français. Le ministre voulait qu’on laissât faire son représentant à Fez et que rien ne vînt du dehors troubler les négociations d’où sortirait l’entente définitive avec le Sultan. Mais le Maghzen avait eu le temps de se remettre de ses alarmes du printemps ; le Sultan et ses ministres avaient lu les journaux et les débats des Chambres ; ils savaient qu’en aucun cas nous n’aurions recours à l’action