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été pratiquée comme elle avait été d’abord conçue et si la politique générale n’en avait pas faussé l’application, était susceptible de donner d’excellens résultats.

Il aurait fallu d’abord, pour que la « pénétration »> française au Maroc réussit et restât « pacifique, » en parler le moins possible, éviter d’en discuter les voies et moyens au Parlement et se garder de faire savoir par avance au Maghzen qu’en aucun cas la majorité, docile aux injonctions de l’extrême gauche, ne permettrait le recours à la force. Sûrs que, s’ils nous opposaient une résistance passive sans provocation, nous n’en viendrions jamais aux armes, le Sultan et ses conseillers, pour employer une expression familière, jouaient sur le velours, et nous avions perdu la partie avant même de l’engager. Une « pénétration pacifique » ne peut être que la résultante de tout ce qui constitue, entre deux pays voisins, une inégalité de poids spécifique : c’est la force militaire qui, par le seul fait de sa présence, exerce la pression décisive et rend possible la « pénétration » des autres élémens qui constituent une civilisation supérieure ; renoncer à l’employer et l’annoncer par avance, c’était vouer à un échec certain l’entreprise que l’on voulait tenter.

Il aurait été nécessaire, en outre, qu’une unité complète d’inspiration et d’action fût établie entre la légation française à Tanger, le gouvernement général de l’Algérie, les généraux commandant à Oran et dans le Sud-Oranais, et qu’une direction générale vînt constamment du quai d’Orsay ; tant que cette bonne harmonie subsista, l’influence française fit des progrès ; dès qu’elle fut rompue, les efforts mal coordonnés restèrent infructueux quand ils ne devinrent pas dangereux. Enfin, répétons-le, il était indispensable surtout que les négociations avec les puissances européennes, l’action diplomatique auprès du Sultan et l’œuvre de pénétration au Maroc même constituassent un ensemble bien homogène et non pas une série d’actes indépendans et successifs.

Nous avons essayé déjà, ici même[1], d’exposer ce que devait être la politique de la France au Maroc : nous n’y reviendrons que très rapidement. Nous définissions d’un mot cette politique en disant qu’elle doit être algérienne. Si toutes les nations reconnaissent à la France des « intérêts spéciaux » au Maroc,

  1. Voyez la Revue des 15 février 1902, 1er mars et 1er octobre 1903. Cf. notre livre : l’Empire de la Méditerranée (Perrin, 1904, 1 vol. in-8o écu).