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accords, dont le réseau subtil enlaçait l’imagination de la grande Allemagne, allait devenir, comme Ta dit le prince de Bülow, « l’occasion d’une riposte nécessaire[1]. » Ces mots sont à retenir : le Maroc n’a été que « l’occasion » de la manifestation que le gouvernement de Berlin a jugé indispensable de faire ; le Maroc a été choisi parce qu’il était, pour ainsi parler, l’endroit sensible de la politique de M. Delcassé et non parce que notre politique y aurait lésé des intérêts ou gêné des projets allemands.

Après le discours du comte de Bülow[2] en avril 1904, l’intervention au Maroc était décidée en principe. Il était peut-être temps encore cependant, pour nous, d’en arrêter la réalisation ; bien qu’aucune demande d’explications ne se fût produite avant le coup de théâtre de Tanger, les avertissemens discrets ne manquèrent pourtant pas au quai d’Orsay, mais il semble qu’ils se soient heurtés à un parti pris d’ignorer le mécontentement qui grandissait à Berlin. Les dernières chances d’éviter des complications pénibles furent perdues : l’Empereur descendit à terre (31 mars), reçut quelques personnages marocains, fit une courte promenade dans la ville ; puis il retourna à son yacht, satisfait d’avoir affirmé l’indépendance du Sultan et de s’être posé, une fois de plus, en protecteur de l’Islam. Il est important de noter, au moment où la conférence d’Algésiras va se réunir, que l’Empereur, à Tanger, n’a pas prononcé une parole qui fût en contradiction formelle avec les intentions réelles de la France. Nous avons toujours proclamé notre volonté de maintenir l’intégrité du Maroc, la souveraineté du Sultan et la « porte ouverte » à la libre concurrence ; l’Empereur, à Tanger, n’a pas émis d’autres prétentions. La manifestation n’en a pas moins eu un triple résultat : elle a montré d’abord, même à ceux qui auraient été tentés de croire à son « isolement, » de quel poids l’Allemagne pèse dans les affaires du monde ; elle a précipité l’échec de la mission française à Fez ; et enfin elle a consolidé l’hégémonie allemande à Constantinople : quelques jours après l’incident de Tanger, Abdul-Hamid, recevant l’ambassadeur allemand, le baron Marschall de Bieberstein, le remerciait avec larmes de l’immense service que l’Empereur venait de rendre à

  1. Conversation avec M. Georges Villiers, dans le Temps du 4 octobre.
  2. Nous ne donnons au chancelier son titre de « prince » que lorsqu’il s’agit d’évènemens postérieurs à l’été de 1905.