Page:Revue des Deux Mondes - 1905 - tome 30.djvu/907

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Persique et jusqu’au Venezuela ; elle croyait saisir la trace d’une connivence anglaise dans cette révolte des Herreros qui lui coûte si cher pour un médiocre résultat ; la nouvelle répartition des escadres anglaises, leur renforcement dans la Manche et la mer du Nord, la création d’une nouvelle base navale à Saint-Margaret’s-Hope, en face de Hambourg et du canal de Kiel, tout cela lui paraissait dirigé contre sa grandeur extérieure et sa prospérité commerciale ; des polémiques de presse, fréquentes et acerbes, des articles de revues comme ceux de l’Army and Navy ; des discours irritans, comme celui de M. Arthur Lee, lord civil de l’Amirauté, le 2 février 1905, entretenaient ses défiances[1] ; dans chacun de ces indices, elle croyait discerner la trace d’une conspiration universelle contre la grandeur allemande. Certes, les hommes d’État allemands connaissaient assez les tendances pacifiques qui, depuis trente ans, ont été celles de la politique républicaine, pour échapper aux entraînemens de l’opinion publique et ne pas croire légèrement à des intentions téméraires de notre part, mais, peut-être, l’attitude de l’opinion et de la presse britanniques, s’ajoutant au sentiment d’une rivalité nécessaire entre les deux plus grandes puissances commerciales de l’Europe, suffisaient-ils à leur faire redouter que l’influence anglaise ne fût parvenue à s’insinuer en France par quelques-uns de ces mille canaux qui, dans une démocratie surtout, peuvent permettre à des suggestions étrangères de se glisser jusque dans les conseils du gouvernement ; ils ont paru craindre que la France ne devînt, en face de l’Allemagne, le « soldat continental » de l’Angleterre comme, dans le même temps, le Japon était, en face de la Russie, son « soldat maritime. » A coup sûr, les comparaisons ne sont pas des raisons, et ces craintes ne reposaient que sur des précédons historiques ; mais il suffit qu’elles se soient fait jour dans les milieux gouvernementaux allemands pour qu’elles aient pu exercer une influence sur la politique de l’empire.

Guillaume II et son chancelier, sous l’influence des causes que nous avons essayé de préciser, ou d’autres encore, crurent nécessaire de mettre fin à une série d’incidens dont la répétition commençait à irriter le sentiment public allemand. Le Maroc, à propos duquel la France avait noué ces ententes et ces

  1. Comparez le discours du prince de Bülow du 7 décembre : « Nous avons à compter avec une profonde antipathie de l’opinion publique anglaise. »