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En Allemagne, les semences de méfiance, si légèrement jetées au vent, tombaient sur un terrain d’autant mieux préparé à les recevoir que des difficultés intérieures — dont certains incidens récens, le contre-coup de l’agitation en Russie, par exemple, ou le discours de M. Bebel (8 décembre), ont souligné la gravité, — avaient rendu le sentiment public plus prompt au soupçon et plus enclin au pessimisme. L’Empereur lui-même s’est déclaré « obligé de compter avec une fausse interprétation des sentimens propres aux Allemands et avec des préventions concernant les progrès de l’activité de la nation allemande[1]. » Tout paraît sérieux à l’esprit positif de l’Allemand : il ne s’arrêta pas à tout ce qu’il y avait d’incohérent dans un projet d’ « isolement » diplomatique que la France aurait entrepris de réaliser à l’heure même où la guerre russo-japonaise l’isolait, elle, militairement, en face de l’Allemagne, et au moment où l’application d’une nouvelle loi militaire allait mettre en péril la cohésion et l’organisation de ses forces de terre et de mer ; il ne considéra pas qu’une pareille politique n’était pas en harmonie avec l’attitude toute de paix, de conciliation et de recueillement gardée, plus de trente ans durant, par la République ; il ne se demanda même pas si les combinaisons que l’on prêtait à un ministre étaient connues, et, à plus forte raison, approuvées par le gouvernement de la France, par les Chambres, par l’opinion nationale : sous les bruits qui couraient, sous les indices qu’il recueillait, il crut trouver une réalité objective et il se prépara à la riposte.

La concordance de certains faits pouvait d’ailleurs prêter quelque apparence de réalité aux intentions que l’on attribuait à la politique française. Les voyages à Paris de tous les souverains d’Europe, les commentaires dont ils étaient le thème dans les journaux anglais, ne pouvaient pas laisser indifférente une opinion publique dont l’amour-propre national s’irrite aisément ; ces fêtes et ces pompes lui apparaissaient comme une représentation symbolique de cet « isolement » dont on semblait menacer l’Empire. L’Allemagne, dans son expansion, éprouvait, dans le monde entier, les effets de la mauvaise volonté de la Grande-Bretagne ; elle sentait son opposition latente à Constantinople et en Asie Mineure, à Pékin, sur le golfe

  1. Discours du Trône, 28 novembre.