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desséchés de bruyères, petites choses mortes qui demeuraient encore lorsqu’il était parti…

Il les avait dissimulés là pour qu’on ne les retrouvât pas, sans doute, ces humbles témoins d’une heure douce. Peut-être, peut-être songeait-il que le fidèle amour d’Ahès la ramènerait dans cette prison, qu’elle saurait les découvrir… Et c’était, sans doute, quand déjà il savait qu’il mourrait… Il n’avait aucun moyen de lui dire adieu… Il l’avait dit, comme il l’avait pu, par ces bruyères mortes. Et elle, qui ne pleurait plus, laissa aller son visage baigné de larmes sur ces pauvres choses, comme si l’absent lui revenait dans cette délicatesse farouche des- derniers instans.

Et ainsi son cœur s’attendrissait. Elle s’éloigna, les yeux encore noyés, les lèvres tremblantes… Quel déchaînement de tempête se préparait !… Le vent augmentait de violence ; la pluie tombait en larges gouttes. Jusqu’à elle, des cris joyeux d’enfans montaient ; ils couraient sur la digue, sans souci de l’orage. Mourraient-ils aussi, ces innocens ? Qu’avaient-ils fait, eux ? Elle les regarda tristement. Elle voulut les appeler, les envoyer loin de la ville. Une lueur de compassion naissait… Ah ! si Gwennolé avait été là ; si elle avait entendu les mots qui apaisent ; si, à cette heure-là, elle l’avait connu celui qui dit : « Pardonnez comme je vous pardonne !… »

Les enfans ne l’entendaient pas, tout à leurs jeux. Que faisaient-ils donc ? Ce n’étaient ni leurs courses, ni leurs chants ordinaires. Ils entraînaient l’un des leurs, le plus grand. Ils l’amenaient devant la porte d’or. Ils lui criaient : « Tu n’y es pas ! Tu n’y es pas ! Ris. Il faut rire… » Lui, renversait la tête…

Une lumière subite se fit. C’était une parodie de la mort de Rhuys que l’on jouait. Un besoin cruel de savoir la retenait, immobile. Acharnés, les petits faisaient passer sous ses yeux les moindres détails du drame. Ils criaient : « Ris ! Mais ris donc ! Tombe maintenant, le sang coule… » Et c’étaient les mêmes clameurs de joie, les mêmes imprécations que leurs pères. Elle eut un mouvement d’horreur, le désir de les voir tomber vraiment sous les flèches, pour qu’ils finissent enfin de se jouer du mort… Et cela aussi la rejeta vers l’abîme.