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Selon l’usage, il le mit en liberté sur parole, lui promettant que, durant ce dernier jour, chacun servirait ses moindres désirs.

Rhuys à ses yeux était déjà sacré. Si près d’entrer dans le Gwynfyd, — le cercle druidique de la lumière, — il ne devait emporter d’ici-bas que le parfum léger des choses. Le druide lui disait avec une douceur grave les paroles indispensables ; il le chargeait de souvenirs pieux pour les aïeux morts ; il lui parlait de gloire en des termes superbes que nous ne savons plus…

En sortant de son cachot, Rhuys eut une sorte d’étourdissement. Un souffle vif lui fouettait le visage ; ses yeux déshabitués de la lumière se fermaient à demi ; l’immobilité presque complète de ces quelques mois lui rendait la marche difficile. Ses ennemis auraient pu croire qu’il tremblait : cette pensée le fit tressaillir… Déjà, derrière les murailles, il entendait le murmure de la foule ; il eut horreur de cette exhibition publique, pendant des heures. Un autre murmure arrivait jusqu’à lui, aussi, le murmure familier et berceur de la mer : et un désir lui vint de finir sa vie, là-bas, au milieu des mouettes que des aigles poursuivaient dans la lumière :

— Maître, dit-il, est-ce que je pourrais prendre une barque et passer ce dernier jour seul, au large ? Je viendrais à l’heure que tu me marquerais.

— Va, répondit le druide ; rentre seulement à la nuit si tu veux.

— Où m’attendras-tu ? demanda encore Rhuys.

— A l’endroit même où tu t’embarqueras. Moi aussi, j’ai horreur des hommes. Je préfère demeurer seul sur la grève, et interroger, encore une fois, tout ce qui a été, et tout ce qui sera.

Ils n’avaient l’un contre l’autre ni colère, ni haine, victimes tous les deux d’une fatalité inévitable. Aucun ne fit allusion à une fuite possible. Ils savaient bien que la parole donnée les liait plus fortement que toutes les chaînes.

Rhuys gagna le large en quelques coups de rames. La mer était vide. Ces deux jours étaient pour le peuple un temps de réjouissance. Rhuys se trouvait seul, comme il l’avait désiré ; et bientôt, laissant aller les rames, il s’adossa contre le bord de la barque la face au soleil, ainsi qu’il le faisait lorsqu’une manœuvre plus dure l’avait épuisé.

Et d’abord ce fut une impression de délices. Jamais la « douce vie » ne lui avait paru plus chère. Il faisait encore