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place et se brûla la cervelle[1], marchaient sur Marseille pour s’y joindre à leurs pareils et bouleverser cette ville par le meurtre et le pillage. Malgré les efforts des autorités et des représentons qui se trouvaient sur les lieux, la terreur devint telle qu’elle paralysa tout à fait la résistance, jusqu’à l’apparition du sieur Isnard, qui, averti en route par un courrier, précipita sa marche dans la nuit, et qui, par les mouvemens de son âme, enflamma tout à coup celles de ses auditeurs, et les fît passer subitement de la crainte au courage. Il rappelle qu’il électrisa surtout les esprits par ces paroles que légitimaient les circonstances et le pressant danger : « Vous n’avez pas d’armes ! Eh bien, fouillez la terre ; armez-vous des ossemens de vos frères victimes de la Terreur, et marchons contre leurs bourreaux ! » Des bataillons armés furent enfantés à l’instant ; il marcha avec eux et son collègue Cadroy contre les insurgés, et ces contrées furent sauvées de nouveau des fureurs anarchiques.

« Ce sont là des faits à la connaissance de tous les habitans d’Aix, de Marseille, de Toulon, et le sieur Isnard en appelle à leur attestation et à celle de M. Siméon père[2].

«… Le parti jacobin, qui avait son foyer dans le Directoire, reprit successivement le dessus dans Paris, ce qui amena la révolution du 18 fructidor. Le sieur Isnard était heureusement déjà sorti à cette époque du Conseil des Cinq-Cents par la voie du sort, ce qui le préserva d’une déportation dont furent frappés plusieurs membres des deux Conseils ; mais la persécution le poursuivit dans son département. Il fut obligé de quitter la ville de Draguignan qu’il habitait, pour se retirer dans une campagne isolée sur le bord de la mer, où il a longtemps vécu en butte à des vexations de tout genre, dans des appréhensions continuelles et trop souvent même avec des craintes pour sa vie.

« La révolution du 18 brumaire, en détruisant le règne de l’anarchie, mit fin à ses inquiétudes. À cette époque, comme ceux qui triomphaient étaient dans sa ligne, et que tous les rouages du gouvernement furent renouvelés, il ne tenait qu’à lui, en se rendant à Paris, d’être compris dans l’organisation des

  1. A la suite du soulèvement de Toulon (25 floréal an III), Ignace Brunel, député de l’Hérault en mission dans le Var, se tua d’un coup de pistolet pour n’avoir pas réussi à empêcher l’émeute.
  2. Il s’agit du futur comte Siméon, un des principaux rédacteurs du Code civil. Il était originaire d’Aix et venait alors d’être nommé par les représentans en mission procureur syndic des Bouches-du-Rhône.