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répugner à la raison, l’étonnent et lui paraissent vraiment d’une profondeur admirable. »

Pour ceux qui sont curieux de métaphysique, je dirai que le système d’Isnard reposait sur ce qu’il appelait la science des correspondances. C’est en quelque sorte la théorie des archétypes de Platon. Selon lui, la nature, la matière, tous les corps, ne sont que l’émanation, le signe ou le symbole de tout un monde supra-sensible, où chaque chose visible a pour correspondant la même chose, mais invisible et spiritualisée. Ainsi le soleil, globe de feu qui nous donne de la chaleur et de la lumière, correspond, dans le monde qu’imagine Isnard, à un autre soleil spirituel et divin, d’où émane l’amour et l’intelligence. Dans l’homme, il distingue : 1° « la chair grossière et visible, qui est comme le mur le plus extérieur de l’édifice ; » 2° « le corps humain qui se forme des substances les plus spiritueuses du corps charnel actuel, et si spiritueuses que l’œil matériel ne saurait les apercevoir ; » 3° ce qu’on appelle âme « dans la rigueur du terme, » c’est-à-dire un composé d’amour et d’intelligence, produit par la chaleur et la clarté du soleil divin. Ce qui ressuscitera au dernier jour, ce n’est pas le corps animal, mais le corps spirituel « qui, comme dit l’apôtre, est semé dans lui. » Tout ingénieux et séduisant qu’il pût paraître à certains esprits, ce système, dont Isnard poussait loin les déductions, n’était pas, dans toutes ses parties, aussi orthodoxe qu’il le croyait. On le lui fit sans doute remarquer, car il supprima ses notes dans la seconde édition de son Immortalité, qui parut trois ans après.

Un grand tableau, peint probablement sous le Consulat et conservé encore aujourd’hui dans sa famille, représente l’ancien conventionnel assis à une table sur laquelle s’étalent plusieurs livres et cahiers ; on y distingue, ouvert à la première page, son discours sur l’Immortalité. Sa femme, son fils et ses filles, réunis autour de lui, l’écoutent, car il lit, ou plutôt on voit, au geste de sa main droite, qu’il déclame, par un reste d’habitude, en s’aidant seulement d’un livre qu’il tient de l’autre main. Dans une niche, au fond de la salle, une grande statue en pied de Minerve, déesse de la Sagesse, flanquée d’une sphère céleste et d’un globe du monde, semble présider cette assemblée et lui donner sa signification. Et cependant, soit que la nostalgie de la vie publique, si fréquente, dit-on, chez les hommes qui en connurent les succès, l’eût atteint dans sa paisible et studieuse retraite, soit