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mais elle devait grandir et, comme un phare, guider sa barque pour l’amener au port.


II

Nous retrouvons Isnard, deux ans après, à l’Assemblée législative, où ses compatriotes du Var l’avaient envoyé. Celui qui écrira l’histoire de sa vie publique aura des choses intéressantes à dire sur son rôle dans cette assemblée. Il aura à déterminer sa part d’influence sur la politique du groupe dont il prit tout de suite la tête, aux côtés de Brissot, de Vergniaud, de Gensonné, de Guadet, de Condorcet. Il rappellera ses harangues qui, dès le début, le classèrent au premier rang des orateurs, et il n’aura pas de peine à montrer par où se distingue, de celle de ses émules, son éloquence chaude, spontanée, audacieuse, qui soulevait l’auditoire et déchaînait tour à tour la colère et l’enthousiasme.

Le nom d’Isnard est inséparable de deux des principales questions qui furent livrées aux débats de l’Assemblée ; et il se trouve aussi que, pour l’histoire de ses idées, la seule qui nous intéresse ici, elles sont de première importance : celle des émigrés et celle des prêtres insermentés.


Lorsque Gensonné eut déposé son rapport sur les troubles de la Vendée et conclu à des mesures contre les prêtres auxquels il les attribuait, Isnard monta à la tribune. C’était la première fois. Qu’on se représente un homme corpulent, sanguin, à la voix forte, mordante et emportée[1]. Exalté par le danger que pouvait faire courir au pays un clergé en révolte, il réclama contre les prêtres réfractaires les peines les plus rigoureuses : « La religion, — s’écria-t-il au milieu d’une tempête d’applaudissemens et de murmures, — la religion doit être considérée dans ce moment comme un instrument avec lequel on peut faire infiniment plus de mal à la société qu’avec tout autre, et c’est pourquoi je soutiens que la loi doit être plus sévère contre tous ceux qui s’établissent les intermédiaires entre le ciel et la terre, entre Dieu et les hommes, parce que, comme dit Montesquieu, le

  1. C’était un des plus gros mangeurs de son temps. On prétend qu’il expédia, un jour, à lui seul, une dinde entière. Une autre fois, il aurait absorbé toute la provision de glaces d’un grand limonadier.