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quelque défaut de caractère chez M. Balfour ; nous ne disons pas d’intelligence, car il y en a peu qui soient aussi éclairées et aussi cultivées que la sienne ; mais son intelligence est celle d’un philosophe qui, après les avoir recherchées, a trouvé les bases de la croyance un peu incertaines, et qui a apporté dans sa politique quelque chose du doute général qu’il avait dans l’esprit. Avec des qualités de premier ordre, il n’a pas eu assez de parti pris pour un homme d’État. De là est venue à M. Chamberlain la pensée de le remplacer, ou de le supplanter, et il l’exécute.

Toutefois, le ministère ne disparaîtra pas immédiatement : ceux qui l’ont cru se sont trompés. Il y mettra moins de hâte, et plus de convenance et de dignité. Mais on ne se trompe pas en croyant qu’il ne peut guère aller au-delà de quelques semaines, ou d’un petit nombre de mois. M. Balfour l’a réuni pour délibérer sur la résolution à prendre, sauf à l’exécuter un peu plus tôt ou un peu plus tard. Deux solutions se sont trouvées en présence. La première, la plus naturelle, celle qui s’offre tout de suite à l’esprit et que les précédens recommandent, consiste à dissoudre la Chambre et à faire appel au pays. La seconde consisterait pour le ministère à se démettre, et à laisser à un cabinet libéral le soin de procéder aux élections. Il semble, au moment où nous écrivons, qu’on n’ait encore rien arrêté définitivement, et peut-être faut-il voir dans cette indécision suprême une nouvelle preuve d’irrésolution chez M. Balfour.

Il y a un autre côté de la question : les libéraux ne se montrent nullement empressés de recueillir le pouvoir avant d’avoir une majorité pour l’exercer : ils regardent même, non sans raison peut-être, la démission du cabinet conservateur comme une manœuvre contre eux, manœuvre adroite et qu’ils doivent déjouer. Il est commode pour le cabinet conservateur de se dérober par une démission prématurée au jugement du pays sur sa politique, jugement sur lequel personne n’a de doute et qui sera certainement défavorable ; mais le parti libéral a, dans l’affaire, un intérêt opposé. Il est fort en ce moment dans l’offensive : il le serait peut-être moins dans la défensive, et on comprend qu’il ne veuille pas changer sa position. Si le cabinet conservateur disparaît avant les élections, l’ardeur de l’attaque contre lui sera inévitablement diminuée : on ne pourra plus invoquer sa responsabilité puisqu’il en aura lui-même avoué le poids trop lourd. Alors, les électeurs auront une inclination naturelle à demander compte au parti libéral de ce qu’il fera au pouvoir, plutôt qu’au parti conservateur de ce qu’il y a fait. Les rôles seront intervertis.