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de ce que ce culte est en fait et par conséquent en droit, tout aussi bien que le culte israélite ou le culte protestant. L’État, en se séparant de tous les cultes, les laisse tels qu’ils sont et n’a pas à se préoccuper de ce qu’ils peuvent devenir sous le régime nouveau. Cela ne regarde plus qu’eux.

En terminant son discours, M. Clémenceau a répondu très loyalement à une interrogation tacite qu’il sentait dans l’esprit de ses collègues : ce discours n’était-il pas un exercice académique puisque tous les argumens en étaient dans un sens et la conclusion dans l’autre ? — Je vote par discipline, répétait M. Clémenceau ; je me soumets au mot d’ordre ; mais je ne me dissimule pas que cette loi que nous faisons « au petit bonheur » sera, pour le pays républicain, une déception. — Cela signifie que M. Clémenceau, tout en votant la loi, ne la regarde pas comme définitive et qu’il commence dès aujourd’hui une campagne en vue de la changer. — Je la vote, a-t-il avoué, parce que je suis pris dans un étau dont il m’est impossible de me dégager, parce que je suis prisonnier de mon parti. — C’est une attitude nouvelle de sa part : autrefois, il ne se laissait prendre dans aucun étau, il y prenait les autres, et il serrait fortement. D’où lui vient cette complaisance ou cette faiblesse ? C’est, dit-il, qu’il veut un certain résultat et qu’il accepte la partie du résultat qui lui est aujourd’hui donnée. Mais pour accepter, pour réaliser et encaisser la partie, il ne renonce pas au reste, il ne renonce pas au tout.

Qu’est-ce à dire ? On nous avait répété, et on répétera sans doute aux élections prochaines que la loi de séparation met irrévocablement fin aux longs démêlés entre l’Église et l’État. Les voilà séparés ; ils ne se connaîtront plus, ils ne se verront plus ; ils seront munis l’un à l’égard de l’autre de l’anneau de Gigès : comment dès lors pourraient-ils se rencontrer encore et se heurter ? Et on a célébré sur un ton dithyrambique l’âge de paix religieuse où nous allons entrer grâce à ce divorce voulu par l’un des deux conjoints et imposé à l’autre, mais dont leur liberté, leur dignité et leur indépendance communes profiteront également. En sera-t-il ainsi ? Nous ne l’avons jamais cru, et si nous l’avions fait, M. Clémenceau, qui, même dans sa soumission temporaire, ne renonce pas à être l’enfant terrible du parti, aurait dissipé notre illusion naïve. Non, la lutte ne sera pas finie entre l’Église et l’État ; elle continuera dans des conditions pires, il n’y aura plus entre les deux puissances un tampon qui servira, comme le Concordat dans le passé, à prévenir ou à amortir les coups qu’ils se porteront mutuellement. Nous remercions M. Clémenceau d’avoir