Page:Revue des Deux Mondes - 1905 - tome 30.djvu/681

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

l’abondante série des divertissement de la Cour. Par là s’explique qu’aucune trace ne s’en soit conservée pour nous : aucune trace écrite, du moins, car je ne puis entrer, à Versailles, dans le salon de musique de Madame Adélaïde, sans qu’aussitôt les murs de cette petite pièce, avec les trophées d’instrumens de leurs boiseries, m’apportent un écho vivant des menuets et andantes qui furent joués là, un après-midi de la fin de décembre 1763, par un étrange enfant tout vêtu de noir, frémissant de tous ses membres à force d’attention recueillie, et avec la lumière d’un printemps éternel dans le sourire de ses grands yeux bleus.


Pour les Mozart eux-mêmes, du reste, cette séance ne semble pas avoir été un événement aussi considérable que le Grand Couvert du 31 décembre, où ils eurent l’honneur d’être admis à approcher, de tout près, la famille royale. Mais, ici, je dois laisser la parole à Léopold Mozart, qui, dans une de ses lettres, s’est longuement étendu sur cette mémorable soirée : encore que l’excellent homme, ainsi que l’on va voir, nous renseigne moins sur le spectacle de la cour de Versailles qu’il ne nous éclaire sur sa propre personne, sur le mélange singulier de simplicité et de vantardise qui lui permet de soutenir, le plus sérieusement du monde, que la faveur marquée par la famille royale à ses enfans et à lui a frappé de stupeur « ces messieurs les Français. »


Il faut remarquer d’abord que ce n’est nullement la coutume, en ce pays, de baiser les mains aux Seigneuries royales, ni de les aborder au passage, comme l’on dit, c’est-à-dire quand elles passent par les appartemens royaux et la Galerie pour se rendre à la chapelle ; non plus que de témoigner son respect au Roi, ni à personne de la famille royale, en pliant la tête ou le genou : non, chacun reste debout sans bouger, et c’est dans cette attitude qu’on a la liberté de voir passer, tout près de soi, le Roi et sa famille. Aussi pouvez-vous facilement vous figurer quelle impression, quelle stupéfaction ont dû éprouver ces Français, passionnément attachés à leurs usages de cour, lorsque les filles du Roi, non seulement dans leurs chambres, mais encore dans le passage public, en apercevant mes enfans, se sont arrêtées, se sont approchées d’eux, et, non contentes de se laisser baiser les mains par eux, les ont encore embrassés et ont reçu d’eux d’innombrables baisers ! Mais ce qui a paru le plus extraordinaire à ces messieurs les Français, c’est que, au Grand Couvert de la veille du Nouvel An, non seulement ils ont dû nous faire place jusqu’au plus près de la table royale, mais qu’ils ont vu mon Wolfgangus rester, tout le temps, derrière la Reine, s’entretenir avec elle, souvent lui baiser les mains, et se régaler, à côté d’elle, des friandises qu’elle prenait, pour lui, sur la table royale. La Reine parle l’allemand aussi bien que nous ; et comme le Roi n’en comprend pas un mot, la Reine lui a