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sûre et plus effective que chez sa sœur aînée : lui dédiant leurs ouvrages les plus soignés, et allant jusqu’à créer, en son honneur, quelque chose comme un genre nouveau, la victoire, entre leurs gémissantes et leurs rigaudons[1]. C’est d’elle, nous pouvons en être assurés, c’est d’elle que le petit Mozart, appelé probablement à Versailles par Madame Adélaïde, a reçu la plus forte part d’éloges, de bonbons, et de ces tendres caresses dont il avait besoin plus que de tout le reste. Et, aussi bien, est-ce elle qu’il va choisir, deux mois après, entre toutes les princesses de la Cour, pour lui dédier le recueil de ses premières sonates[2].

Je crains seulement que caresses et éloges n’aient pas été répartis d’égale façon entre les deux enfans. « Cinquante louis à un enfant, » nous dit le registre de Papillon. En vain le père s’obstinait à vouloir présenter au monde deux petits prodiges : le monde, décidément, ne voulait en admirer qu’un. A Versailles comme partout, c’est le frère qui a dû recueillir pour lui, au détriment de sa sœur, tout le succès de cette séance, — dont nous ignorons absolument, après cela, en quels exercices elle a pu consister. Ou plutôt, nous ne l’ignorons pas si absolument qu’il ne nous soit trop facile de le deviner ! Le clavier couvert, le morceau joué d’un seul doigt, les transpositions, l’exécution, sur deux clavecins, de quelque fastidieux concerto d’Agrell ou de Wagenseil : nous savons l’invariable programme, et combien il était peu fait pour laisser entrevoir, sous les tours de force du mignon acrobate, la plus exquise floraison de beauté qui se soit jamais épanouie dans un cœur d’enfant. Peut-être cependant Mozart, cette fois, aura-t-il ajouté à son programme ordinaire quelques-uns de ses menuets, ou l’une des deux sonates qu’il avait déjà composées ? Peut-être aura-t-il accompagné une romance jouée par Madame Adélaïde : ce qui était aussi une manière de tour de force, avec une violoniste qui souvent, nous dit-on, ne se résignait pas à suivre la mesure. Mais, en tout cas, il nous paraît hors de doute que l’exhibition des Mozart s’est réduite à fort peu de chose : un épisode à peu près insignifiant, et vite oublié, dans

  1. On trouvera, notamment, des morceaux intitulés la Victoire dans des recueils de pièces de clavecin de Duphly et de Couperin.
  2. Les petits concerts de Mesdames étaient le plus souvent organisés, depuis 1760, par Beaumarchais, professeur de harpe et factotum musical des trois princesses : mais le futur auteur du Mariage de Figaro, au moment de la visite des Mozart à Versailles, venait de partir pour l’Espagne, où allait commencer sa fameuse aventure avec Clavico.