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clavicorde, et au forte e piano. C’est par cette raison que je me suis cru obligé de marquer aussi souvent les doux et les forts, ce qui eût été inutile si je n’avais eu que le clavecin en vue.


La première particularité qui frappe, à feuilleter le recueil, est un emploi à peu près incessant de la basse d’Alberti. D’un bout à l’autre des six sonates, nous n’apercevons, aux portées de la main gauche, que groupes de croches ou de doubles croches, répétant à l’infini la même figure d’accompagnement. Et comme, d’autre part, les lignes de la main droite sont semées de trilles, d’arpèges, d’appoggiatures, et comme les croisemens de mains sont d’une fréquence extraordinaire, nous avons peine d’abord à supposer que, sous ce riche appareil de « bravoure, » se cache une réelle valeur musicale, ni surtout rien qui ressemble à une traduction de sentimens intimes.

Encore cette fâcheuse impression s’aggrave-t-elle lorsque, continuant à parcourir le cahier, nous découvrons que trois seulement des six sonates, les trois premières, méritent d’être considérées avec un peu de soin. La quatrième et la cinquième n’ont, chacune, qu’un morceau, et très court, très facile, sans doute destiné à des commençans ; tandis que la sixième, en deux morceaux, — une façon de prélude et un air varié, — n’est évidemment, tout entière, qu’un long et difficile exercice de virtuosité : ce qui nous donne à penser que l’auteur n’a joint à son recueil ces trois dernières pièces que parce que, n’en ayant composé que trois qui fussent vraiment des « sonates, » et se croyant tenu d’offrir cependant la série traditionnelle de six pièces, il aura complété son recueil n’importe comment.

Mais une lecture plus attentive des trois premières pièces nous contraint, par degrés, à tempérer la sévérité de cette impression. Nous voyons alors que le virtuose, chez Eckard, marche de pair avec un musicien à la fois très savant et très ingénieux, — un des meilleurs, en somme, de cette période de transition et de tâtonnement. Nous devinons que, malgré son abus de la basse d’Alberti, cet homme a fort bien su profiter de l’étude qu’on nous apprend qu’il a faite, jadis, du Clavecin bien tempéré de Sébastien Bach, et que surtout il a assidûment étudié les sonates d’un autre Bach, Philippe-Emmanuel : car les siennes n’en sont, pour ainsi dire, qu’une adaptation plus brillante et plus vide. De la même façon que chez Emmanuel Bach, les trois