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qu’est-ce que je sais de cette religion ? Seulement ce que vous m’en dites, et c’est sans doute bien peu. Si je connaissais leurs moines ou leur prêtres, peut-être, alors…

— Veux-tu en voir un, et des plus renommés ? Monte à cheval avec moi. On amène à Quimper, devant mon tribunal, un de ces hommes de Bretagne, qui ont émigré ici comme nous : c’est un Scot, je le hais. Il faut qu’il se défende. Je vais à Quimper pour deux jours. Viens-tu ?

— Non, répondit rapidement Ahès. Que m’importe cet homme ? La justice et la guerre sont à vous seul ; vous êtes juste et vous êtes brave. Votre peuple vous aime, il est fier de vous. Qu’irais-je faire là ?

Gradlon regarda avec orgueil l’enfant de sa tendresse. Elle disait juste. A quoi bon la mêler à des jugemens ou à des procès ? Elle était la beauté et elle était la grâce. Qu’avait-elle à faire en ce monde, sinon fleurir ? Gradlon partit seul au crépuscule. Lorsqu’il se retourna, déjà loin de la ville, il vit Ahès encore à la fenêtre où il l’avait laissée. Vêtue de la tunique rouge qu’elle portait presque toujours, elle se détachait comme une fleur de pourpre, royale et splendide. Puis elle s’effaça peu à peu, diminua, s’estompa dans la brume, jusqu’à n’être plus, à l’horizon, qu’une large tache de sang…


III

Durant de longues heures, Gradlon chevaucha sur la lande morne, à l’allure rapide de son cheval. Il était triste. Il avait compté sur une journée de plein repos ; Gwenc’hlan lui avait annoncé des chants sur sa dernière campagne. Or Gwenc’hlan était à Quimper, depuis trois jours. Ce moine et ce maudit procès attiraient tout le monde et dérangeaient tous les plans.

Et puis, Gradlon n’était pas en paix avec lui-même. Il disait juste : la vue du sang ramenait toujours en lui à la surface le vieux levain, et il était assez chrétien pour en éprouver un vague remords. La Cornouaille, en ce temps-là, était presque entièrement païenne. Il y avait bien eu, par les premiers Bretons fugitifs, quelques essais d’évangélisation. Mais rien de régulier, rien de fixe ; point d’évêché dans le pays ; à peine quelques prêtres.

Quelques noms, cependant, éclairaient ces ombres ; ils arrivaient au roi sur l’aile du miracle. Les vieilles forêts de Nevet,