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la précision et la rapidité mécaniques de ses mouvemens, même au retour d’une longue marche, continuent la tradition des vétérans prussiens que nous avons connus. Faut-il en dire autant du corps d’officiers ? L’affirmation serait ici plus téméraire. Je me défie des romans-pamphlets qui font de ce corps un tableau si noir ; mais qu’il y ait du relâchement par suite de l’aisance générale et des tentations qu’elle offre, c’est fort vraisemblable.

La prospérité matérielle, — je me place pour un instant dans la convention de notre époque, qui met là le souverain bien, — est indéniable ; tout ce que j’ai vu et rapporté la traduit aux yeux. Des régions pauvres sont devenues florissantes ; dans les ports de mer, dans les grands centres industriels, des sources de richesse ont abondamment jailli ; elles augmentent chaque jour par le progrès de l’industrie, du commerce, de la navigation, du travail sous toutes ses formes. Il se peut que des crises économiques éclatent, entravent temporairement cet essor ; mais la fortune allemande est encore dans la période ascensionnelle, j’en ai eu le sentiment très vif.

Quelques esprits craintifs croient cette fortune menacée, avec tout l’organisme qui la produit, par un assaut prochain du socialisme. J’ai dit comment et pourquoi l’assaillant paraissait contenu dans la mesure où il peut être bienfaisant. Le ciel nous garde d’un tyran assez fort pour extirper le socialisme ! Il est le ferment qui soulève la pâte lourde des intérêts. Ses apôtres, même exagérés, remplacent tant bien que mal les prédicateurs chrétiens que l’on n’écoute plus guère ; ils forcent les gouvernemens et les classes engourdies dans le bien-être à compter avec un idéal de justice, d’humanité, de pitié. Je crois qu’un brusque triomphe de leurs troupes et de leurs chimères ferait le monde très malheureux ; leur disparition le laisserait égoïste et détestable. Tout homme impartial souhaitera un juste équilibre entre la compression de leurs mouvemens désordonnés et l’infiltration de leur idéal dans les lois, dans les rapports sociaux. Il semble que cet équilibre soit à peu près satisfaisant en Allemagne.

Les causes efficientes de la prospérité allemande sont aussi évidentes que son existence. Ce peuple en est redevable pour une part à certaines qualités très prononcées chez lui, application patiente, habitudes d’ordre, de méthode, de discipline, vue réaliste du but à atteindre et des voies qui mènent à ce but. Les