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pouvoir, chez nous, est passé de mains en mains. Il a appartenu longtemps au gouvernement proprement dit, puis aux Chambres, et, à leur tour, les Chambres sont menacées d’en être dépossédées. Elles le sont déjà en partie ; elles le seront complètement le jour où la loi qui émane d’elles sera ouvertement, impudemment, impunément violée par des organisations plus puissantes qu’elles, et ces organisations on les voit se former partout et pulluler sous le nom de syndicats. Bientôt les syndicats diront aux Chambres qu’il faut se soumettre ou se démettre. On peut d’ailleurs faire les deux successivement, et déjà les Chambres se soumettent beaucoup depuis quelque temps. Elles ne comprennent pas que, lorsqu’il refuse de le faire lui-même, le gouvernement travaille pour elles, et que, lorsqu’elles affaiblissent le gouvernement dans cette lutte, c’est à leur propre intérêt qu’elles portent atteinte.

Le spectacle auquel nous assistons est pourtant des plus significatifs. On voit quotidiennement des syndicats, et des agglomérations de citoyens qui veulent en former, professer le mépris, ou, ce qui est peut-être encore pis, le dédain de la loi. Lorsqu’une loi les embarrasse ou les gêne, il faut qu’elle plie, qu’elle se courbe, qu’elle s’efface en attendant qu’elle disparaisse. Aucun retard n’est admis dans l’exécution de ces volontés impatientes, qui sont énoncées par une voix quelconque, la première venue, mais qui sait se faire obéir Des poursuites sont entamées contre des instituteurs : il faut qu’elles soient suspendues. Jusqu’à quand ? Jusqu’à ce que la loi soit changée. C’est l’ordre qui vient du dehors : la Chambre n’a qu’à s’incliner. Si elle ne l’a pas fait le 7 novembre, il s’en est fallu de peu, et qui sait si elle ne le fera pas demain en votant l’amnistie qu’on lui propose ? La majorité du gouvernement a été de près de 80 voix ; mais il y a là, nous l’avons dit, les voix d’une grande partie de la droite, et, si nous ne sommes pas de ceux qui croient qu’il faille négliger ou repousser ces voix, nous sommes bien obligés de reconnaître qu’elles n’apportent pas à un gouvernement républicain une force normale, ni peut-être durable. La Chambre se débande, le bloc lui-même se disloque dès que la question des syndicats se pose. Ce sont les symptômes d’un état général auquel on ne saurait donner trop d’attention, surtout si on les rapproche de ceux qui se manifestent dans le parti socialiste et qui en caractérisent l’évolution. Si nous en avions le temps ou la place, nous montrerions le parti socialiste qui, pendant quelques années, avec M. Jaurès, a cherché ses moyens d’action dans le gouvernement et dans le parlement, se