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au-dessus et en dehors des partis ? Il a choisi pour successeur à M. Berteaux, qui ? M. Etienne. Pourquoi ? Pour donner satisfaction au parti radical en lui livrant le ministère de l’Intérieur. Ces dosages de chimie politique, qu’on croit habiles et qui le sont rarement, correspondent mal aux nécessités impérieuses de l’heure présente. La crise ouverte par la sortie de M. Berteaux s’est close par la rentrée de M. Trouillot. M. Berteaux et M. Trouillot peuvent être considérés comme des équivalens politiques, de sorte que le ministère reste le même en apparence, qu’avons-nous gagné ? Rien ! Seulement nous avons perdu M. Berleaux, et c’est quelque chose. Mais nous avons le devoir de raconter comment les choses se sont passées, et il faut pour cela revenir un peu en arrière.

On cherchait une occasion d’attaquer le cabinet. M. Lasies l’a fait naître en portant ex abrupto à la tribune la délicate question des syndicats de fonctionnaires. Délicate, elle ne l’était pas à l’origine, mais elle l’est devenue. On aurait fort étonné, en 1881, les hommes qui ont fait la loi sur les syndicats professionnels, si on leur avait dit qu’elle s’appliquerait un jour aux employés de l’État. Dans leur pensée elle ne devait s’appliquer qu’aux ouvriers : c’est pour eux qu’elle était faite, c’est à eux seuls qu’elle devait servir. Mais il est assez difficile de déterminer où commence et où finit l’ouvrier. En 1848, tout le monde prétendait l’être, jusqu’aux écrivains et aux philosophes, qui se proclamaient ouvriers de la pensée. M. Léon Say a dit un jour spirituellement à la tribune que, dans le monde qu’on nous faisait, la classe privilégiée serait ou plutôt qu’elle était déjà la classe ouvrière, et qu’il voudrait bien en être. La loi de 1884 justifiait cette appréciation. Elle avait pour objet d’accorder aux ouvriers le droit d’association, alors qu’on le refusait encore aux autres citoyens : c’était une exception au droit commun faite en leur faveur. Les syndicats ne sont pas autre chose que des associations d’ouvriers. Lorsque le droit d’association a été généralisé par la loi de 1901, on aurait pu sans inconvéniens supprimer celle de 1884. Il aurait été naturel, en tout cas, que cette loi, en perdant de son intérêt, perdit de son prestige. Mais il n’en a rien été, et on a continué de croire que la loi de 1884 offrait à ceux qui en usaient des avantages exceptionnels. Elle avait d’ailleurs été déjà mise à l’épreuve, tandis que la loi de 1901 ne l’avait pas encore été : son efficacité était incontestable. Cette loi dont les auteurs avaient voulu faire un instrument de paix entre le travail et le capital, entre les ouvriers et les patrons, était devenue en réalité une arme de guerre : elle avait enfanté une multitude de grèves. Avec l’évolution,