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être bien certaine de ses intentions. « Et puis enfin, conclut-elle, dans un accès de passions diverses, et puis enfin qu’y a-t-il de ma faute à tout cela ? Est-ce moi qui ai planté ce couvent tout contre la maison de cet homme ? Celles-là auraient dû y aviser qui sont venues s’enfermer ici de leur gré ! Que les choses aillent comme elles voudront ! Quant à moi, je ne veux plus y penser ! » Et ces paroles signifiaient, peut-être sans que Gertrude elle-même s’en rendit bien compte, que, désormais, elle n’allait plus penser à autre chose.


La pauvre femme commença par faire entendre au jeune homme qu’elle désapprouvait ses instances ; mais, de proche en proche, « après avoir passé des marques de la désapprobation à celles de l’indifférence, et de celles-ci à celles de la tolérance, » elle dut s’avouer vaincue. Et le premier sentiment qu’elle éprouva, au sortir de cette lutte intérieure, fut une grande joie. « À l’ennui, au dégoût, à la rancœur incessante, succédait tout à coup, dans son âme, une occupation forte et continue ; une vie puissante se répandait dans le vide de son cœur : Gertrude en fut comme enivrée. L’avenir lui apparut tout uni, délicieux. Quelques momens de la journée passés avec le jeune homme, et le reste employé à y penser, à les attendre, à les préparer, cela lui semblait une existence bienheureuse, qui ne lui laisserait ni soucis, ni regrets. »

Mais elle n’allait point tarder à apprendre que « les consolations d’une mauvaise conscience profitent, à ceux qui les goûtent, comme au fils de famille l’argent qu’il emprunte chez les usuriers. » Je ne puis malheureusement songer à traduire, ni même à analyser, les pages vraiment tragiques où Manzoni décrivait la suite de l’aventure. Il y montrait l’abbesse amenée, à la fois par la nécessité extérieure et par un besoin spontané, à mettre deux sœurs de son couvent dans la confidence de son intrigue. Puis, un jour, dans un mouvement de colère, elle avait dit à l’une de ces sœurs des paroles si dures, que, dès l’instant d’après, son amant et elle avaient craint que la sœur offensée ne voulût se venger. Et ainsi Gertrude, à l’instigation de son amant, avait fini par consentir à un assassinat. Toutes les circonstances du crime, les terreurs de l’abbesse, ses remords, son aversion croissante pour son complice et son impuissance à se délivrer du pouvoir qu’il avait pris sur elle, tout cela était raconté par le romancier avec un naturel et une précision qui font songer à ces vieilles chroniques italiennes d’où il prétendait transcrire son récit. Après quoi, il revenait au sujet de son roman ; et le lecteur se trouvait mieux préparé, de cette façon, à comprendre et à apprécier la peinture, laissée par Manzoni