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VILLE D’ORIENT


Toi, dont j’ai vu monter de la terre d’Asie
Les cyprès toujours verts et les blancs minarets
Entre toutes, mon cœur, ô Ville, t’a choisie
Pour l’un de ses désirs et l’un de ses regrets.

Ma mémoire s’émeut à tes beautés lointaines
Dont l’aspect un seul jour charma mes yeux nouveaux,
Et j’écoute, depuis, la voix de tes fontaines
Qui rend plus grave encor la paix de tes tombeaux.

Entre leurs murs verdis de faïences persanes
Où luisent dans l’émail les versets du Coran,
Ils gardent à l’écart, parmi les vieux platanes,
Les cercueils inégaux que surmonte un turban.

Si ce sont d’autres mains qui soutiennent les hampes
Des grands étendards verts brodés du nom d’Allah,
La mosquée où priaient, prosternés sous les lampes,
Ceux-ci qui maintenant sont morts, est toujours là.

La fontaine où jadis, par ordre du Prophète,
Dans l’onde jaillissante et qui n’a pas tari,
Ils se lavaient les pieds, la poitrine et la tête,
Murmure dans sa vasque avec le même bruit.

Sa vivante fraîcheur emplit tout le silence
De ce beau lieu muet, solennel et luisant,
Et la lumière est douce aux carreaux de faïence
Dont chacun porte en or un fier dessin persan.

C’est là qu’assis en l’ombre bleue et métallique
Et sous le dôme blanc que rien ne peut ternir
J’ai commencé d’aimer ta grâce asiatique
Et senti naître en moi ton premier souvenir,