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principes du grand parti libéral. » S’il aime l’Irlande ! C’est-à-dire que son cœur saigne quand il songe aux vieux crimes du passé. Lui, il vient pour se vouer à l’Irlande et pour la régénérer. Elle a besoin de capitaux : il les a dans sa poche. Les Irlandais se moquent de lui et le prennent pour leur député. Il va couvrir leur pays d’hôtels, de tramways électriques et de casinos. Et dans dix ans, dans vingt ans peut-être, la terre sera sienne. Il en pompera tous les revenus comme il pompe ceux de l’Inde. Il aura conquis l’Irlande de nouveau et le second état de cette île sera pire que le premier. La terre ne lui suffit pas, il veut encore la femme irlandaise, si supérieure à la femme anglaise qui n’est, dit-il, qu’un beefsteak animé. Voici Nora qui, depuis dix-huit ans, aime sans le dire, et attend patiemment son compatriote, l’Irlandais Larry Doyle. Mais, en véritable Irlandais, il n’a pas su « prendre sa chance, » dire le mot nécessaire à la minute voulue. Son ami, l’Anglais Broadbent le supplante en vingt-quatre heures. Pourtant, elle aussi s’est moquée de lui le premier soir, mais il revient à la charge ; il veut réussir auprès d’elle et de son rire même, il se fait un auxiliaire. Est-il supérieur à l’Irlandais ? Certes non. C’est un médiocre, et personne n’avait encore si bien montré, sur la scène du moins, cette médiocrité obstinée et victorieuse de l’Anglais qui est le secret de ses triomphes, dans le passé et dans l’avenir. Mon Dieu ! il n’est ni sot, ni méchant. Toute son hypocrisie consiste à dire une chose et à en faire une autre. Il a la prétention d’être idéaliste à ses heures, mais il choisit ces heures-là. Son idéalisme est comme le chapeau à haute forme et la redingote qu’il met pour aller à l’église le dimanche. Les autres jours, il travaille, il agit, il gagne de l’argent ; il est « efficient, » mot significatif qui, hélas ! manque dans notre langue. L’Irlandais est idéaliste toute la semaine, et c’est pourquoi, en amour comme en politique, il sera toujours vaincu.


V

Lorsque j’ai assisté à la représentation de John Bull’s other Island, j’ai cru remarquer dans la salle la présence de deux élémens très distincts, presque opposés, dont je ne saurais déterminer l’importance relative. Parmi les spectateurs, les uns