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interlocutrice, à la dernière scène, et qui a pour sujet le mot fumeux : « L’Angleterre est une nation de boutiquiers. » Si M. Bernard Shaw veut bien prendre la peine de lire le Journal de Gourgaud ou, tout simplement, le livre de lord Rosebery, Napoléon, the last phase, il se convaincra que, si Napoléon a répété ce mot dont il n’était pas l’inventeur, il était incapable d’en donner un commentaire acceptable, parce que personne n’a jamais plus mal compris les Anglais. En tout cas, il lui eût été difficile de présenter, dans un style à la Bernard Shaw, un panorama à vol d’oiseau de l’histoire politique et industrielle de l’Angleterre au XIXe siècle, en commençant par des allusions à Nelson el à Wellington pour finir par des vues sur l’Ecole de Manchester et sur l’Impérialisme.

Les jeux de scène, imprimés en italiques, constituent un véritable pamphlet contre Napoléon où sont ramassées, avec les vieilles vilenies dont le caricaturiste Gillray repaissait l’animosité de John Bull, il y a cent ans, les calomnies, plus modernes et plus savantes, de l’historien Seeley. On y voit Napoléon volant la caisse de son régiment, puis vendant sa femme aux membres du Directoire pour obtenir un grade. Qu’a fait Napoléon à M. Bernard Shaw ? On a beaucoup parlé de cet homme et l’on s’obstine à en parler encore. Il a le même défaut que Shakspeare, il encombre l’histoire, il tient de la place. Ne serait-il pas temps de faire le silence autour de ces gens-là et de s’occuper un peu de M. Bernard Shaw ? Au fond, qu’est-ce que Napoléon ? Un raté, tout simplement. M. Shaw nous énumère complaisamment les échecs littéraires du jeune officier d’artillerie et nous donne à entendre que le malheureux a conquis l’Europe faute d’avoir pu percer dans les lettres.

Puisque j’ai parlé des indications scéniques, je dirai que c’est une des affectations de M. Bernard Shaw de les développer outre mesure et de nous offrir ainsi, non seulement la description physique, mais l’histoire morale de tous ses personnages, de noter non seulement leurs gestes, mais l’état de leur âme, à chaque instant. Imprimés dans le même caractère que le dialogue, ces jeux de scène formeraient avec ce dialogue le texte continu d’un roman véritable. Au troisième acte de Man and Superman, l’auteur a introduit dans cet espace réservé aux indications scéniques une dissertation sur le paupérisme qui n’a pas le plus lointain rapport avec le sujet de la pièce.