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déchaînent ses paroles et ses actes, parfois à l’encontre de leurs aspirations intimes. Ils l’aiment voyant, eux qui sont plutôt ternes. Dans le cerveau compartimenté des Allemands, ce loyalisme de fraîche date s’accorde sans peine avec un attachement jaloux aux traditions républicaines. Leurs Magnificences les sénateurs de Hambourg prennent au sérieux leur pouvoir, leurs droits et privilèges, tout ce qui subsiste de leur autonomie ; et on les prend au sérieux. J’ai vécu quelques jours dans une vraie république, libre et ordonnée, où l’égalité n’est pas un vain mot. La justice, l’administration, la police font respecter la loi commune avec une inflexible équité. Quelles que soient les opinions ou la fortune d’un délinquant, nulle transaction ne l’exemptera d’un arrêt judiciaire, de l’amende encourue pour une contravention de voirie. On me cite des faits qui renverseraient toutes les notions d’un provincial Français, habitué à nos mœurs électorales, résigné ou aspirant aux immunités dont bénéficient chez nous les gros bonnets du parti triomphant.

Je croyais trouver ici quelque émotion, en un moment où le désaccord entre l’Allemagne et la France fait si grand bruit. Je n’en ai surpris aucun indice ; de l’indifférence, et qui n’est pas simulée. Lorsqu’on parle en France de l’opinion allemande, on raisonne sur un fantôme insaisissable : en matière de politique étrangère, s’entend. S’agit-il des querelles intérieures, des intérêts religieux, économiques, sociaux, les partis se prononcent, les citoyens se montrent ardens, tenaces, prêts à la bataille avec ou contre le gouvernement. Ils lui abandonnent la conduite des négociations diplomatiques. En dehors des journalistes qui obéissent aux nécessités du métier, — et parfois à une inspiration venue des officines berlinoises, — il semble que la grande majorité des Allemands se désintéresse des affaires extérieures du pays. La raison de ce désintéressement saute aux yeux. Pendant un quart de siècle, l’Allemagne avait remis le soin de ses destinées à une Providence infaillible, ou qu’elle croyait telle ; la nation n’eut pas à regretter d’avoir donné un blanc-seing au prince de Bismarck. Il a disparu ; l’habitude invétérée demeure, moins confiante assurément, mais encore passive. C’est au successeur du tout-puissant chancelier qu’il appartient de gouverner la barque, sous la direction du souverain « pilote. » Quoi qu’exige ce dernier, on lui obéira ; avec allégresse ou avec résignation, selon l’occurrence. Il est superflu de dire que dans ce milieu