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usine et l’industrie dispersée en petits ateliers soit plus qu’imparfaite, impossible, et faussée encore par la différence des temps, rappelons les chiffres qu’indiquait le docteur Villermé, suivant les affirmations de Jules Favre[1]et « les notes d’un administrateur » pour les années 1833 et 1834. Selon Jules Favre, un compagnon lyonnais, travaillant sur le métier du maître, gagnait, à cette date, 1 franc, 1 fr. 50 ou 2 francs par jour, pour les étoffes unies, 2 fr. 15 pour les façonnés, tandis que le chef d’atelier gagnait de 3 fr. 06 à 3 fr. 30 sur son métier à lui, et prélevait 1 fr. 10 ou 1 fr. 11 sur celui qu’il fournissait à son compagnon. A la tâche, les salaires journaliers n’auraient ressorti qu’à 0 fr. 55, 0 fr. 66, 0 fr. 90 tout au plus[2]. Et c’étaient des salaires d’hommes ! Selon « l’administrateur, » le chef d’atelier se faisait, pour les étoffes unies, 3 fr. 50, pour les façonnés, 5 francs ; le compagnon, de 1 fr. 75 à 3 francs : l’écart, assez grand, dépendait de l’étoffe. Pour les articles de goût (tissus riches), le chef d’atelier pouvait s’élever jusqu’à 8 francs ; le compagnon (très exceptionnellement encore) à 5 francs. Un chef d’atelier veloutier, ou tisseur de velours, arrivait à gagner, avec sa femme, de 7 fr. 50 à 8 francs. Mais, Villermé a tenu à nous en avertir, ces chiffres ne sont pas sûrs : « Les premières évaluations ont été fournies par les chefs d’atelier, et les secondes doivent l’avoir été par les fabricans. On peut supposer que les unes et les autres s’éloignent de la vérité. C’est en effet ce qui m’a été affirmé à Lyon par différentes personnes et ce que j’ai pu reconnaître dans les réponses toujours plus ou moins évasives des maîtres-ouvriers que j’interrogeais sur les prix de façon des étoffes que je voyais sur les métiers[3]. » Et, découragé, il déclare, « dans ce mélange de renseignemens contradictoires, n’oser compter sur l’exactitude d’aucun, pas même sur l’exactitude de ceux qu’il a pu recueillir lui-même. » Le brouillard ne s’était pas dissipé sur la Croix-Rousse : les dieux de la cité avaient vaincu.

Autant qu’il est permis de le croire, les salaires dans la fabrique lyonnaise sont en général médiocres, et ils sont, de plus, fort variables, ou plutôt fort différens, d’une usine ou d’un

  1. Jules Favre, De la coalition des chefs d’atelier de Lyon ; brochure in-8o d 43 pages ; Lyon, 1833.
  2. Depuis novembre 1831.
  3. Tableau de l’état physique et moral des ouvriers, I, 376-377.