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Impression très vive, reçue partout dans la nouvelle Allemagne.

Pour Guillaume Ier tout au moins, l’agrandissement rapide d’une figure si longtemps effacée ne s’explique pas uniquement par les bonheurs de sa vieillesse : des causes anciennes et fortuites y ont collaboré ; elles apparaissent dans le mausolée de Charlottenbourg où il repose, à côté de l’impératrice Augusta, aux pieds de son père Frédéric-Guillaume III, de sa mère la reine Louise. Mausolée un peu théâtral, et qui fait songer à un beau décor final d’opéra ; l’arrangement wagnérien y avive une émotion créée par des réalités. Les verrières bleutées de la coupole tamisent une lumière élyséenne sur les quatre dormans de marbre blanc, drapés dans la manière romantique de Thorwaldsen. Un grand ange funéraire garde le silence autour de leur sommeil : envoi d’un tsar russe, cet emblème de Sainte Alliance, protection familiale des Romanof qui continue de veiller sur les tombes des Hohenzollern. Dans le recueillement de la pénombre, on croit entendre un prélude de harpe, la symphonie en blanc majeur

Du marbre blanc, chair froide et pâle,
Où vivent les divinités.

L’éloquence de ces sarcophages est dans les dates gravées sous les noms : le fils descend en 1888 du trône, — combien élargi, — où son père, né en 1770, monta en 1797. Un long siècle pèse sur cette réunion de famille, avec les douleurs et les humiliations du début, symbolisées dans la figure de la belle reine éplorée ; cette reine Louise, leur Marie-Antoinette, autrement et universellement touchante pour eux, grâce féminine de la patrie malheureuse. Elle retrouve là, après quatre-vingts ans de séparation, l’enfant qu’elle traînait sur les routes ; disparu longtemps dans l’obscurité d’une vie où il préparait la vengeance, l’enfant surgit en pleine apothéose auprès de la mère enfin vengée, il fait remonter son manteau impérial sur la couche de ses parens. Le Temps, le vénérable magicien si puissant sur nos imaginations, enchante ce groupe humain. Il y a deux façons d’asservir le Temps, elles étonnent différemment nos esprits : soit que l’éclair du génie contraigne ce marcheur régulier à précipiter sa course sur les pas d’un Napoléon, à rassembler en peu d’années les événemens d’un siècle ; soit que la durée paradoxale d’une vie immobilise le destructeur de toute vie au service d’un