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doive être, elle n’en constitue pas moins, pour le moment de la transition, une nouvelle cause d’inquiétude[1]. »

La modification, en effet, a été lente, mais elle n’a pas cessé. Dans une publication préparée par la Chambre de commerce de Lyon pour l’Exposition de Vienne, en 1873, on en fait remonter les origines à la Restauration. C’est le temps où « lentement et par degrés, les métiers commencent à prendre le chemin de la campagne ; le tissage rural s’apprête à devenir l’auxiliaire de celui de la ville, en attendant qu’il s’y substitue presque entièrement. La fabrication des articles bon marché fait rechercher les moteurs hydrauliques ; la vapeur, à son heure, sera appliquée au tissage des soieries. Le nombre des petites maisons décroît ; le chiffre des affaires grossit ; l’industrie lyonnaise perd peu à peu cette physionomie de petite fabrique, qui, à côté des usines de coton, de laine et de lin, lui donnait un caractère à part. L’époque de la grande industrie s’annonce de toutes parts, pour elle comme pour les autres industries ; elle ne se dérobera pas à la loi commune. » Et, plus bas : « Les conséquences de ce mouvement, ou, pour l’appeler de son vrai nom, de cette révolution ont été immenses ; la constitution intérieure de la fabrique lyonnaise en a été modifiée profondément. On avait souvent reproché à cette constitution l’isolement où elle laisse l’ouvrier par rapport au patron, l’absence de liens entre eux, de telle sorte qu’au moment des crises le patron, non propriétaire des métiers, restait libre d’arrêter subitement sa fabrication, sans s’inquiéter du sort de l’ouvrier autrement qu’à titre de bienfaisance ou de charité. Si cette séparation donnait à l’ouvrier plus d’indépendance, si elle respectait mieux la vie de famille, elle avait aussi ses inconvéniens, qui devenaient presque un péril social au moment des longs chômages. On se souvient des émotions, de l’effroi qu’ils causaient, des troubles populaires qui les ont quelquefois accompagnés. Heureusement, la dissémination des métiers dans les campagnes, l’accroissement du tissage rural au détriment du tissage urbain, l’association du travail de la soie à celui des champs, surtout la formation des grandes maisons par suite de l’augmentation de la production, la nécessité pour ces maisons de maintenir, même aux époques de mévente, leur organisation

  1. Les populations ouvrières et les industries de la France dans le mouvement social du XIXe siècle, par A. Audiganne, 2 vol. in-16. Paris, Capelle, 1854 ; — t. Ier, p. 274-275.