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l’apparat ; ils aimaient emplir de gros butin les casernes aux lignes sévères, mirer leurs uniformes dans les revêtemens de marbre poli, dans les garnitures métalliques de cuivre et d’or Ce fut le style empire, massif et somptueux chez les maréchaux à grosses dotations. Avec d’autres formes, avec les mêmes matières au service des mêmes préférences, le nouvel empire allemand cherche le style de sa subite fortune guerrière et commerciale. On imagine fort bien un David dessinant à Berlin, comme l’autre à Paris, la mise en scène appropriée aux époques où d’anciennes modesties veulent impérieusement s’exalter dans un luxe glorieux. Les Allemands, si longtemps soumis aux modes françaises des derniers siècles, expriment leur désir de réagir contre ces modes dans une formule qu’ils répètent souvent : « Nous en avons assez des trois Louis ! » Ne sachant comment se libérer des trois Louis, beaucoup se jettent éperdument dans les témérités du « moderne-style ; » plus répandu ici que chez nous, il gagne chaque jour du terrain ; mais on souhaiterait en faire un « style impérial. » — Arrangez comme vous le pourrez toutes ces tendances, un peu incohérentes ; mais accordez, car c’est justice, qu’il y a toujours, dans leurs inventions les plus discutables, de la force, du sérieux, un sens pratique.

Nos artistes ne jugent-ils pas avec une sévérité outrée la statuaire allemande ? Sur les effigies de bronze que l’Allemagne prodigue à ses modernes héros, sur les figures allégoriques où elle aime à se reconnaître, nous ne retrouvons pas la sveltesse, le mouvement, les élégances florentines ou françaises auxquelles nous sommes sensibles. Ces masses d’un airain noir comme la fonte, taillées par larges plans, ont du moins une gravité recueillie dans leur parti pris de rudesse : elles donnent l’impression d’une puissante pesée sur le sol ; déplaisantes parfois, rarement ridicules. Rien ne caresse le regard, tout sollicite la pensée dans le monument de la Réforme à Worms, la Germania du Niederwald, le Bismarck qui continue à Berlin de tenir en respect le Reichstag voisin. Les deux personnages accolés au socle du chancelier, — Atlas portant le globe, Siegfried forgeant le glaive national, — sont des inventions d’un impérial artiste, substituées par ordre aux motifs qu’avait choisis le statuaire. Inventions heureuses : l’ensemble est d’un bel effet. Les Hambourgeois vont ériger un Bismarck d’airain sur la haute colonne déjà prête à le recevoir, au sommet d’un tertre d’où cet