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caractère par besoin instinctif d’introduire la pompe, la force, le colossal dans les lignes où ces gens simples ne mettaient que leur bonne grâce bourgeoise et leurs élégances d’artisans minutieux. — Colossal ! Impérial ! Ces deux mots reviennent sans cesse aux lèvres des citoyens du nouvel empire : les ambitions qu’ils expriment essaient de se traduire dans la physionomie des monumens et des cités. Les dimensions gigantesques des gares et des hôtels des Postes sont partout un sujet d’étonnement pour l’étranger. Lorsqu’il en fait la remarque, des philosophes lui répondent : « Nos père donnaient ces vastes proportions à l’édifice où ils s’assemblaient le plus souvent, pour leur plus grande affaire : cette affaire était de prier, cet édifice était l’église. Nous élargissons aujourd’hui les édifices où les hommes se réunissent habituellement pour leurs affaires, où nos foules modernes assiègent les bureaux et les trains : bourses, gares, hôtels des Postes. Ce changement des pratiques architecturales n’est-il point conforme au changement de nos mœurs et de nos besoins ? » Rien à objecter. Il y a de fortes raisons pour que la « basilique » des anciens redevienne chez nous ce qu’elle était chez eux, avant que le christianisme s’en emparât : une Bourse de commerce ; et l’« ecclesia, » lieu de rencontre pour la communauté, n’est-ce pas tour à tour la gare, la poste, le théâtre ?

Dans ces théâtres spacieux, ces cirques pour concerts monstres, et jusque dans les grandes brasseries, les restaurans des jardins publics, l’architecte est visiblement hanté par les réminiscences des colisées, des amphithéâtres de la Rome impériale. Le malheur de cet architecte, c’est qu’on le devine sollicité à la fois par un double idéal, celui de Rome et celui de Chicago. À Berlin, les Terrassen am Halensee sont très vaines de la montagne de gradins où elles peuvent entasser cinq mille consommateurs, entre des pylônes surmontés d’aurochs. On a recueilli l’héritage de César, c’est chose entendue : il faut que sa majesté se retrouve avec ses aigles sur les monumens de pierre et de bronze qui témoigneront à l’univers la puissance impériale. Mais une tendance fâcheuse fait parfois confondre l’énormité avec la majesté. — L’ornementation et le mobilier de quelques maisons opulentes suggèrent une autre analogie. Les grands officiers, les fournisseurs de Napoléon Ier affichaient à leur manière une richesse un peu goulue, venue vite et qui voulait jouir vite ; ces vainqueurs ne pouvaient se défaire d’une certaine roideur dans