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On répondra que la distinction est subtile, et je n’en disconviens pas. En matière de langage ou pourra toujours dire que nous ne discutons que sur des subtilités ; et on aura généralement raison. Mais la distinction me paraît ici nécessaire, et je la crois logiquement et historiquement fondée. Le caractère essentiel d’une langue est dans sa grammaire ou dans sa syntaxe : je ne voudrais pas le voir dans son vocabulaire. Et, à cette occasion, je ne puis m’empêcher de relever, dans les « conclusions » du livre de M. Gohin, les lignes que voici : « À la fantaisie des écrivains antérieurs… Vaugelas et les puristes avaient compris la nécessité de substituer l’ordre et l’unité… De là leurs efforts pour créer une syntaxe et un vocabulaire… Pour ce qui est de la syntaxe, les classiques du XVIIe siècle arrivèrent très vite à la fixer d’une manière à peu près définitive et à la régulariser ; ceux de l’âge suivant ne modifièrent en rien les résultats acquis, si ce n’est pour les compléter. Les efforts des grammairiens et des écrivains furent sur ce point aussi décisifs que les puristes les plus intransigeans pouvaient le souhaiter. » Ce n’est pas tout à fait mon avis, ni, si je l’ai bien compris, celui de M. Alexis François. La révolution de la syntaxe a été plus profonde ! L’un des crimes, nous le verrons, qu’il faut reprocher aux grammairiens du XVIIIe siècle, est précisément d’avoir rendu, par leurs décisions d’une logique arbitraire, quoique rationnelle, Molière et La Fontaine, Pascal même et Bossue !, « irréguliers » et incorrects. Sic fata voluere… Ainsi l’ont voulu, qui ? les Dumarsais et les Beauzée, les d’Açarq et les de Wailly, les Gamache et les Bellegarde. Mais ce que je retiens de l’observation de M. Gohin, c’est qu’en toute langue, à côté de l’élément changeant, ou des élémens changeans, lesquels sont la prononciation, l’orthographe, le vocabulaire, etc., il y a un élément, non pas « fixe, » mais moins changeant ; et précisément ma thèse est que la langue ne « se transforme » que dans la mesure où varie cet élément moins changeant. Un accroissement de vocabulaire n’est pas une transformation de la langue, s’il n’y a transformation qu’autant qu’il y a « variation ; » et un accroissement en nombre, quelque considérable qu’il soit, n’est pas une variation.

Quel est maintenant l’intérêt de cette distinction ? Le voici. C’est qu’à ceux qui se sont proposé ou qui se proposeraient de « fixer » une langue, on ne peut pas opposer cette objection, devenue cependant banale, qu’à des besoins nouveaux il faut