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primes à la paresse commerciale : elles ne servent qu’à tuer l’initiative, à paralyser la liberté d’une industrie qui doit s’accommoder à des besoins perpétuellement changeans. »

J’ai visité en détail les bassins : sur cette forêt de mâts, je cherchais toujours un pavillon tricolore. J’en ai enfin trouvé un : il flottait sur un vapeur de moyen tonnage, la Séphora Worms, de Bordeaux. La maison Worms fait à elle seule la majeure partie du chiffre d’affaires que notre pavillon peut revendiquer dans le mouvement du port de Hambourg : cent millions. Vous avez bien lu : cent millions, sur un total de dix milliards, 1 pour 100 ; c’est toute la part qu’a su se tailler ici, — grâce à l’entregent d’un israélite, si j’en juge par le nom du bateau, — la nation qui fut longtemps la seconde puissance maritime. Je vais voir à son bord le brave commandant de la Séphora Worms, le capitaiter Basroger : type accompli du loup de mer, sauveteur légendaire ; on ne compte plus les naufragés qu’il a recueillis, les vies humaines dont les équipages de toute nationalité lui sont redevables. Inventeur incorrigible, il occupe ses loisirs à confectionner d’ingénieux modèles d’appareils de sauvetage. Nous sommes encore bons pour exporter de l’héroïsme et du dévouement. L’hôte aimable qui m’a procuré le plaisir de cette rencontre et d’autres visites intéressantes, notre Consul général M. Jules Lefaivre, me permettra d’ajouter que nous exportons aussi, — j’en ai eu la preuve à Hambourg, — l’intelligence et l’amour du devoir professionnel.

La ville de terre ferme s’accroît et déborde sur les campagnes avec la même exubérance que son port. La partie centrale garde un caractère pittoresque, grâce aux canaux où baignent les vieilles maisons, grâce aux deux lacs intérieurs, le Binnen Alster et l’Aussen Alster. Sur les quais du premier s’alignent des hôtels où rien ne rappelle l’antique auberge allemande : la clientèle américaine y retrouve le confort et la vie large dont elle a l’habitude. Le second lac, de beaucoup le plus vaste, est entouré de parcs et de villas. On respecte ici les arbres : un bois de chênes séculaires ombrage les maisons, s’avance au cœur de la cité. La physionomie cosmopolite s’accuse dans le gros faubourg de Saint-Paul ; c’est l’un des grands carrefours du globe, la Capoue nocturne dont rêvent les matelots sur toutes les mers. Chaque soir, quand les navires lâchent leurs équipages, Anglais et Yankees, nègres et Chinois se ruent dans l’avenue