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Espagnols et Portugais, quand la bulle d’Alexandre VI leur traçait une ligne de démarcation. En principe, la Hambourgeoise exploite l’Atlantique et le Nouveau Monde ; la Brémoise, les mers d’Orient et d’Extrême-Orient ; mais, à la suite de concessions mutuelles, leurs deux pavillons alternent sur les itinéraires du Pacifique et dans le fructueux service de grande vitesse sur New-York.

Le tour du Lloyd revient cette semaine : un de ses grands paquebots, le plus grand, le Kaiser Wilhelm II, va partir de Bremerhaven. Il conduira jusqu’à la haute mer un groupe d’invités : la Direction m’a aimablement prié d’en être. Une heure et demie de chemin de fer jusqu’à Bremerhaven : morne paysage, tourbières et lagunes de la Gœste qui vient confluer avec la Weser. Mais le temps passe vite dans la curieuse Cosmopolis où je suis accueilli. Tous les idiomes se croisent entre les directeurs allemands et leurs hôtes : deux Roumains venus de Bucharest pour nouer des rapports entre la navigation brémoise et les escales de la Mer-Noire ; un Hongrois qui va passer quelques heures à Londres, assister à un conseil où il représentera les actionnaires internationaux d’une société belge ; un jeune Américain en route pour son pays, un « roi des chemins de fer, » comme l’appellent gaîment nos compagnons : il paraît que ce tout jeune homme figure déjà dans le Gotha des railways. Ces messieurs jonglent avec la planète, avec les grosses affaires qui relient ses divers continens. En les écoutant, on croit sentir d’avance les vents du large, les grands courans mondiaux qu’une volonté tenace capte et ramène dans cette petite Weser.

Notre train s’arrête au bassin d’où émerge l’énorme masse du Kaiser Wilhelm II, long de 203 mètres. Amusant tableau : des centaines de voyageurs, empêtrés dans leurs paquets et leurs hardes, dégringolent du convoi qui précède le nôtre, s’élancent aux échelles ; la musique du bord fait rage de tous ses cuivres, là-haut, pendant que ces colonnes de fourmis grimpent à l’assaut du colosse, s’engouffrent aux divers étages des ponts superposés Cinq cents passagers de première classe, deux cents de la seconde ; et le flot des émigrans, parqués à l’avant du haut-pont. Oiseaux fugitifs de tous les cieux, ces derniers, pauvres gens qui vont tenter la grande aventure ; des Slaves, pour la plupart, Bohémiens, Galiciens, Polonais et juifs chassés de Russie par les événemens ; quelques Hongrois. Point d’Allemands, dans les