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de ces églises mutilées me la racontent : relisons à leur ombre une histoire ancienne et toujours nouvelle.

Le prince-évêque et les seigneurs catholiques gouvernaient — fort mal — la ville impériale de Munster, quand les luthériens vinrent y propager leur culte. Ces novateurs gagnèrent la classe moyenne, les marchands des ghildes ; ils se crurent bientôt assez puissans pour battre en brèche une féodalité débile. Première phase, lutte des réformateurs bourgeois contre l’aristocratie et l’ancien clergé. Le parti de l’évêque eut le dessous ; mais ses troupes ayant mis une première fois le siège devant la place, les luthériens sentirent le besoin de s’y renforcer. La Westphalie était alors travaillée par les melchiorites des Pays-Bas, la dernière née et la plus dangereuse des sectes anabaptistes. Leurs émissaires, accueillis dans Munster comme d’utiles recrues, en appellent d’autres ; cette avant-garde du communisme prend pied, séduit le menu peuple : il acclame pour chefs ceux des nouveaux venus qui ont le plus de facilité à parler en public. Effrayés par les prétentions croissantes de ces auxiliaires, les magistrats bourgeois et luthériens se rapprochent de l’évêque, de la noblesse ; ils s’entremettent, négocient inutilement des compromis. Deux craintes paralysent ces timides réformateurs de la veille : celle de faire le jeu de la réaction, celle d’être évincés par des énergumènes qu’ils veulent couvrir, et qui déjà les dépossèdent. Éternelle, réjouissante histoire du tiers-parti, dévoré par la démagogie qu’il a suscitée contre les anciens maîtres. Cette seconde phase s’achève comme il est d’usage : les plus pusillanimes de ce parti, traînés à la remorque des communistes, leur obéissent la mort dans l’âme ; les autres, prédicans luthériens, magistrats, gros marchands des ghildes, sont chassés pêle-mêle avec l’évêque et les seigneurs. Sur l’aire nettoyée du mauvais grain, comme disent les anabaptistes, ces illuminés établissent la république démocratique et en appliquent les trois principes : liberté, égalité, communauté des biens. Les princes de la Haute-Allemagne se liguent contre la scandaleuse Munster : tiraillés par leurs jalousies, malhabiles et lents, ils l’assiègent mollement. Le peuple fanatisé réclame la sortie en masse : son premier chef, Jean Mathys, s’y fait tuer.

Un petit compagnon tailleur de Leyde, jeune exalté de vingt-six ans, prend la direction de la défense. Il a puisé dans sa Bible la foi et l’audace des prophètes justiciers ; peut-être est-il sincère