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suis demeuré souvent perplexe. Chénier les a parfois multipliées, plus charmantes l’une que l’autre. Je sentais la variété, la souplesse de son génie, son goût raffiné, le délicat travail de perfectionnement auquel il s’était plu et, après lui, j’hésitais. Ailleurs, première version, variantes, il avait tout biffé. Que faire ? Et pourtant, il fallait choisir, oser, avec quelle crainte ! me substituer au poète, d’autant plus timidement que, le connaissant mieux, je l’admirais davantage. Le lecteur trouvera aux Notes, s’il consent à les parcourir, le bref détail de ces perplexités et des heureuses rencontres que j’ai faites au cours de cette longue étude des manuscrits. Je n’en veux donner ici que deux exemples qui me semblent valoir, par leur diversité même, d’être plus longuement expliqués.


Le premier feuillet autographe des Bucoliques est d’un papier vergé bleuâtre, de vingt-deux centimètres de long sur dix-sept de large, écrit à mi-feuille. Il contient le magnifique récit du combat des Lapithes et des Centaures où le poète a concentré en quarante-quatre vers, qui peuvent compter parmi les plus beaux de notre langue, les trois cent vingt-cinq hexamètres d’Ovide. Au-dessus du premier alexandrin et auprès de la syllabe Boux, Chénier a écrit entre parenthèses, d’une encre et d’une écriture beaucoup plus récentes, le mot employé. La demi-feuille restée blanche porte cette note de deux mains différentes, vraisemblablement de La touche et de M. Gabriel de Chénier : Employé dans le poème intitulé l’Aveugle, où ce morceau commence ainsi :


Enfin l’Ossa, l’Olympe et les bois du Pénée


En effet, le fragment que j’ai sous les yeux commence par cet autre vers :


C’est ainsi que l’Olympe et les bois du Pénée


De ces divers élémens fournis par l’aspect du manuscrit, on peut déduire que ce morceau est antérieur à la composition du poème dont il fait aujourd’hui partie. Becq de Fouquières cite ces quelques lignes destinées, croit-il, à l’Hermès : « Jadis quand la société avait moins appris à avoir de l’empire sur soi, les rivalités étaient sanglantes, et rarement une fête finissait sans voir