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peines[1]de détails m’assiègent ; le plaisir de me retrouver dans ma famille a été bien empoisonné. » Et il s’étend longuement sur les soucis dont il est accablé : les édits de l’abbé Terray qui menacent de ruiner son père, ses deux sœurs à marier avec de maigres dots, sa mère malade et inquiète de l’avenir, quelques dettes personnelles « que la vie de Paris augmente insensiblement tous les jours. » Il termine cette navrante peinture par ce trait, jeté en passant, comme d’une main négligente : « Dans la perplexité où je suis, avec l’avenir que j’entrevois, me marier est peut-être le seul moyen d’échapper à mes dettes, d’affermir la fortune de ma famille, de pouvoir lui devenir secourable. On a proposé à mon père des partis assez considérables en province ; je les ai refusés, j’aimerais mieux me tuer que d’habiter la province. » Point de réponse à cette invite ; mais, six semaines plus tard, il revient à la charge avec une plus grande précision : « Mon père[2]ne viendra à Paris que dans le mois de janvier. Il a un projet de mariage pour moi, qui m’établirait dans ce pays-là. Je vous dirai cela ; je vous dirai toute ma situation ; vous me conseillerez, vous me servirez. » Et brusquement il passe à une proposition bizarre : cette héritière qu’il lui faudrait pour refaire sa fortune, pourquoi Julie elle-même ne la lui choisirait-elle pas ? « Si je suis forcé de prendre le parti de me marier, je voudrais que ce fût par vous. »

Sans doute Julie va-t-elle se révolter devant cette étrange ouverture, et l’on attend une scène plus violente encore que celles dont nous avons entendu les éclats. Goûtons cependant la saveur de ces lignes imprévues : « Vous ne devinerez[3]jamais ce qui m’occupe, ce que je désire : c’est de marier un de mes amis. Je voudrais qu’une idée qui m’est venue pût réussir… C’est une jeune personne de seize ans, qui n’a qu’une mère et point de père… On lui donnera en la mariant 13 000 livres de rente ; sa mère la logera, la gardera bien longtemps, parce que son fils est un enfant. Cette fille ne peut pas avoir moins de 600 000 francs, et elle pourrait être beaucoup plus riche. Cela vous conviendrait-il, mon ami ? Dites, et nous agirons. » Si cette affaire échouait, elle connaît une autre famille où l’on serait « heureux d’avoir Guibert pour gendre ; » il est vrai que la fille

  1. Lettre du 9 septembre 1774. — Archives du comte de Villeneuve-Guibert.
  2. Octobre 1774. Ibidem.
  3. Lettre du 9 octobre 1774. — Édition Asse.