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comble de la gloire, dites-le-moi, et, si vous n’étiez pas content, c’est à moi qu’il faut le dire aussi, parce que ce qui est vous est plus moi que moi-même. »

D’ailleurs, quand l’événement lui a donné raison, les nouvelles qu’elle reçoit, — la mauvaise humeur de Louis XVI pendant la représentation, le jeu médiocre de Lekain, et le silence glacial qui a suivi le baisser du rideau, — l’affligent plus que l’auteur lui-même, et c’est avec une infinie tendresse qu’elle le console de son échec ; mais elle n’en est que plus ardente à lui déconseiller de renouveler cette dangereuse expérience et d’en appeler du verdict de la Cour à la sentence du grand public. La Reine l’y poussait fort et, enhardi par cet encouragement, il retouchait sa pièce, changeait le dénouement, préparait tout pour une série de représentations nouvelles. La lettre par laquelle Mlle de Lespinasse cherche à le détourner de cette résolution est admirable de logique, de justesse et de sens pratique. Faute de pouvoir la citer tout entière, j’en donne ici quelques fragmens[1] : « Je désapprouve les grands changemens que vous faites dans Le Connétable, et voici mes raisons : remarquez qu’en changeant et bouleversant ainsi cette pièce, elle sera jugée de nouveau et avec plus de sévérité que la première fois, et cela est juste. La première fois, vous aviez cédé à la volonté de la Reine, vous aviez annoncé que vous n’aviez jamais songé à la faire pour le théâtre ; dès lors, voilà l’indulgence établie ; on vous sait gré de toutes les beautés qui sont en foule dans cette pièce, on loue votre talent, et si l’on se permet quelque critique sur le fond ou sur la diction de l’ouvrage, on ajoute : Il ne l’avait pas fait pour être joué. Actuellement, mon ami, vous voilà avec toutes les prétentions d’un auteur : vous êtes donc obligé à beaucoup, car il est bien démontré que c’est pour la faire jouer que vous avez fait tous ces changemens à la pièce, et l’on ne doutera pas que ce soit vous qui ayez engagé la Reine à la redemander… Dans tous les cas, dit-elle plus loin, le seul changement qu’il fallait vous permettre, c’était d’employer tout votre temps à la pureté, à l’élégance et à la noblesse du style ; il fallait que tout le monde, en sortant de votre pièce, dît : Mais je ne la croyais pas si bien écrite, mais il n’y a ni négligence ni incorrection… Au lieu de cela, il y aura

  1. Lettre du 9 novembre 1775. Ibidem.