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années, dit M. Harvey D. Goulder, de Cleveland (Ohio), nous avons voulu créer un service de navigation sur le Saint-Laurent, entre l’Amérique et le Canada. Il nous a paru politique de mettre une partie de la flotte sous pavillon anglais, l’autre sous pavillon américain. Pour les mêmes raisons, nous nous sommes adressés à la fois en Angleterre et en Amérique pour la construction de cette flotte. Les chantiers anglais spéciaux qui font le bateau de rivière et les chantiers des Grands-Lacs nous ont consenti très sensiblement les mêmes prix[1]. » Toutes les dépositions recueillies par la Commission, soit sur le littoral des Grands-Lacs, soit dans les ports de l’Atlantique ou du Pacifique, concordent sur ce point. Il est avéré que les Américains sont capables de lutter contre les Anglais pour la construction navale là où les circonstances leur permettent d’appliquer les méthodes de production en masse d’un modèle uniforme, méthodes dans lesquelles ils excellent d’ailleurs et qu’ils ont contribué, plus que toute autre nation industrielle, à faire entrer dans la pratique.

Mais à supposer que les États-Unis développent leur marine marchande, que, par suite, les commandes de bateaux affluent, que les chantiers se spécialisent et livrent à l’armateur américain l’outil nécessaire à son industrie dans les mêmes conditions que les chantiers anglais le livrent aux armateurs anglais, la partie est encore bien loin d’être égale. L’armateur américain ne peut pas en effet exploiter son outil à aussi bon compte que l’armateur anglais. C’est la deuxième cause d’infériorité qui a fait obstacle jusqu’ici au relèvement de la navigation commerciale des États-Unis.

Nous retrouvons ici une seconde fois l’action d’un phénomène général à toutes les industries de l’Union américaine, la cherté de la main-d’œuvre. Les chantiers de construction navale en souffrent, mais l’armement en souffre bien plus encore. Les chantiers, en effet, sont protégés par le monopole que leur accorde la législation. Ils sont les fournisseurs obligés de l’armement, qui n’a pas le droit de faire flotter le pavillon étoile sur un navire construit à l’étranger. Ils sont donc en mesure de lui imposer leurs prix. De plus, le travail auquel ils se livrent est susceptible d’une organisation technique beaucoup moins onéreuse ; ils le savent ; ils connaissent les procédés à employer

  1. Hearings, t. II. p. 798.