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se trouve en Angleterre. Cela n’existe pas aux États-Unis. Cela n’est possible que dans un pays où l’industrie des armemens est très développée. Alors les chantiers se spécialisent, les uns construisant le bateau de guerre, d’autres le paquebot de vitesse, d’autres le cargo-boat ordinaire, ou le voilier, le remorqueur, etc. Aux États-Unis, au contraire, les chantiers de l’Atlantique et du Pacifique, n’ayant pas une clientèle suffisante pour se spécialiser, construisent toutes sortes de types. On peut voir sur leurs différentes cales tous les échantillons de navires possibles, ici un bateau de rivière avec ses roues à aubes, là un croiseur, plus loin un grand cargo voisinant avec un torpilleur, etc., etc. Impossible d’industrialiser la construction navale dans ces conditions ; impossible de fabriquer les navires en série, de répéter le même modèle, de standardize, comme le disent avec un énergique néologisme les représentans des chantiers. Ainsi le procédé victorieusement employé par les industries américaines reste sans application ici. Elles concurrencent l’Europe avec leurs machines agricoles, leurs locomotives, leurs machines à coudre, mais chacune de ces industries est étroitement spécialisée. « Supposez, dit à la Commission un constructeur de Baltimore[1], qu’un fabricant de moissonneuses entreprenne de faire dans ses ateliers une locomotive, une machine à coudre et un moteur fixe, vous vous doutez bien des piteux résultats qu’il obtiendra ! Eh bien ! c’est dans ces conditions déplorables que nous sommes obligés de travailler. Nous n’avons pas une clientèle suffisante pour nous spécialiser, comme le font les Anglais. »

Aussi les constructeurs américains déclarent-ils que tout le problème consiste à créer une abondante demande de navires. La loi actuelle leur conférant un monopole pour la construction de tout navire battant pavillon américain, ils se font fort de produire à aussi bon marché que les Anglais le jour où ils pourront se spécialiser.

Et ils donnent des preuves à l’appui. Voyez, disent-ils, ce que font les chantiers des Grands-Lacs. Personne ne pourrait les battre en aucun pays du monde pour l’établissement du type uniforme qu’ils reproduisent indéfiniment. Et les représentans des chantiers des Grands-Lacs, appelés en témoignage par la Commission, corroborent cette affirmation. « Il y a quelques

  1. Hearings, t. I, p. 476.