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mauvaise, ce qui ne m’empêche pas d’être bien tendrement tout à vous.


A la Chênaie, le 13 octobre 1825.

Votre homme, mon cher ami, agit comme il regarde, de côté. C’est une triste espèce de gens que ceux-là. Vous viendrez pourtant à bout de votre affaire, à ce que je crois ; mais il vous faudra de la patience, et, grâce à Dieu, elle ne vous manque pas. J’en aurais grand besoin aussi, et elle me manque à chaque moment. Ma santé est fort mauvaise, je souffre beaucoup, et les peines m’arrivent de tous les côtés. Demandez pour moi le courage et la résignation qui me sont nécessaires. Savez-vous que vous êtes un admirable homme de guerre ? Vos triomphes me réjouissent et me consolent. Cette chère petite église réparée, ornée, ces enfans habillés au nom du Pape, ces deux nouvelles écoles, sujet de terreur pour la république, qui croit voir le papisme tout entier sous les voûtes d’une chapelle, tout cela me fait un plaisir que je ne puis vous exprimer. Perge, c’est tout ce qu’on peut vous dire. Vous n’avez pas beaucoup de temps à perdre, selon les apparences, pour presser l’accomplissement des promesses qu’on vous a données et qu’on pourrait bien être peu disposé à tenir. Les cartes se brouillent terriblement ; ne vous endormez pas. J’ai une extrême envie de vous voir, ainsi que notre cher évêque de M… ; cependant je ne prévois pas qu’il me soit possible de faire le voyage que vous me proposez. Nos bons amis de la rue du Bac[1] me sollicitent aussi très vivement d’aller passer avec eux l’hiver à Turin, où ils ne tarderont pas à se rendre. Je ne leur dis pas non, quoiqu’il y ait des obstacles qui jusqu’à présent me paraissent invincibles. La comtesse Louise a été fort malade, et son pauvre père n’est pas bien non plus. Cela m’attriste, car je les aime bien tendrement. D’un autre côté, je tremble pour l’avenir de notre malheureuse Église. Nous marchons visiblement vers un schisme et vers une grande persécution. L’un et l’autre semblent inévitables. Je sais que l’on commence à entrevoir et à craindre là où l’on a été si longtemps et aveugle et tranquille ; mais on ne dit rien, mais on ne fait rien, et je ne conçois ni ce silence, ni cette inaction, ou plutôt je ne les

  1. La famille de Senfft. La comtesse Louise était la fille de M. de Senfft. Elle s’était en 1819 convertie au catholicisme en même temps que son père et sa mère. Voyez Rosenthal, Konvertitenbilder, I, II ; p. 363.