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encore ce que j’ai perdu. Pour vous, Monsieur, je vous félicite des liaisons que vous avez commencées avec M. le comte de Senfft[1] : science, modestie, piété, voilà ce que vous avez remarqué en lui ; jamais je n’ai rencontré personne qui unît au même degré les qualités solides à toutes celles qui font le charme et la douceur de la société. En causant avec lui, souvent nous avions parlé de l’importance d’établir des rapports suivis entre les hommes qui défendent la même cause. Il serait à désirer qu’il y eût à Paris un centre de correspondance, afin qu’on pût s’entendre et travailler de concert dans toutes les parties de l’Europe, et même de l’Amérique, car maintenant beaucoup d’espérances se rattachent à ce dernier pays. Cela ne serait pas très difficile et pourrait produire de grands fruits. Je vous prie de m’en dire votre pensée. Mon article sur la réunion a paru dans le Conservateur[2], mais on y a fait quelques retranchemens par des raisons de politique, et il y a en outre un assez grand nombre de fautes d’impression qui le défigurent. Je le fais réimprimer en ce moment dans un volume de Mélanges que je me propose de publier très prochainement[3]. Ce grand sujet de la réunion demanderait à être traité bien plus à fond, et avec beaucoup plus de développemens. Il en faudrait faire un livre. De plus habiles l’entreprendront peut-être. On ne saurait rendre de service plus éminent à la société. Les destins sont dans la balance : un jugement de vie ou de mort ne tardera pas d’être prononcé. Si la miséricorde prévaut, on verra les

  1. Le comte de Senfft-Pilsach (1777-1853), protestant converti, Saxon d’origine, l’un des correspondans les plus actifs de M. Vuarin et de Lamennais. Il occupa divers postes fort importans, d’abord au service de la Saxe, puis au service de l’Autriche, qu’il représenta tour à tour à Turin, Florence, la Haye et Munich. Il se convertit à l’Église romaine en 1819, durant un séjour assez prolongé qu’il faisait à Paris. Voyez Rosenthal, Konverlitenbilder, I, 2, p. 362-363. Les nombreuses lettres que Lamennais lui a adressées, ainsi qu’à Mme de Senfft, ont été publiées par Forgues.
  2. Le Conservateur venait d’être fondé, en 1818, contre le ministère Decazes. Dans un fragment récemment retrouvé, des Mémoires d’Outre-Tombe, Chateaubriand parle de ce journal en ces termes : « Son influence fut telle que son nom a survécu à son existence… À ces noms des maréchaux de la foi et des connétables, j’associais ceux des hommes les plus éclatans dans le parti royaliste et dans les lettres : M. de Villèle, de Corbières, M. de Castelbajac et M. de Vitrolles, M. l’abbé de Lamennais, M. de Bonald, et j’écrivais quelquefois sous mon nom ; le plus souvent, je signais : le Conservateur. »
  3. Lamennais a en effet publié en 1819 un volume de Mélanges, où il a recueilli un certain nombre d’articles qui n’ont pas été réimprimés dans toutes les éditions ultérieures de ses œuvres.