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indifférent. Un article du dernier journaliste parisien l’atteint au cœur : mais un discours de l’empereur Guillaume sur les vices congénitaux de l’armée russe n’atteint même pas ses oreilles. Aussi nous gardons-nous de réclamer. Mais ce n’est pas seulement l’opinion que M. Witte met en cause. S’il ne dit rien de notre gouvernement, et cet oubli étonne, il parle beaucoup du gouvernement allemand, et surtout de l’empereur, qui a été si « gentil,  » et qui a fait tout ce qui dépendait de lui pour ne causer aucun embarras à la Russie, — ce qui est, on en conviendra, le minimum de la « gentillesse,  » — et pour détourner d’elle toute complication. Loin de nous la pensée de contester les mérites de l’empereur Guillaume : il a fait effectivement ce qui dépendait de lui, et il a permis à la Russie de dégarnir sa frontière en lui promettant qu’il n’en abuserait pas. Il a eu, à l’égard de ses voisins de l’Est, une attitude parfaitement amicale et loyale ; cela est hors de doute. Mais nous… ? Personne n’aura même l’idée de remarquer que nous avons « affirmé et prouvé notre désir de ne causer aucun embarras » à la Russie. Cela, en effet, n’avait besoin d’être ni prouvé, ni affirmé ; cela allait de soi. Pour le reste, n’avons-nous pas aidé la Russie autant qu’il dépendait de nous, et n’a-t-il pas dépendu de nous de l’aider quelque peu ? N’avons-nous pas fait en sorte de lui « éviter toute complication ?  » Ne nous sommes-nous pas exposé à des reproches, et peut-être à quelque chose de pis, pour faciliter le voyage de son escadre ? Si tout cela est oublié, il ne nous sied pas de le rappeler. Rien n’est de plus mauvais goût que de parler, même à des amis, des services qu’on a pu leur rendre, et nous laissons à l’histoire le soin d’établir un bilan qui serait ici très déplacé. Qui sait pourtant si ce n’est pas parce que tout le monde n’a pas imité cette discrétion, que certains services se sont si fortement incrustés dans la mémoire de M. Witte, et que d’autres ont glissé sans y pénétrer ? C’est un grand art que celui de se faire valoir, M. Witte nous donne là une leçon que nous avons probablement méritée.

Mais si, pour employer sa comparaison, des deux quantités que représentent les sympathies de la Russie envers l’Allemagne et envers la France, la première a augmenté, tandis que l’autre est restée stationnaire, ce n’est pas dans l’attitude des deux pays, ni surtout des deux gouvernemens pendant la guerre, qu’il faut en chercher la cause. Le cœur a ses raisons… Au surplus, laissons le passé et ne voyons que le présent. On ne nous cache pas, bien au contraire, qu’un rapprochement très réel s’est opéré entre la Russie et l’Allemagne, et on nous conseille le ralliement. Nous pourrions répondre que nous ne