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familière ; voici comment il s’est exprimé dans une conversation avec un rédacteur du Temps : « Vous me dites qu’on a en France l’impression d’un rapprochement russo-allemand. Comment voulez-vous que ce rapprochement n’existe pas ? L’empereur Guillaume, au cours de la guerre, a été, vis-à-vis de la Russie, plus que correct, tout à fait gentil. En toute occasion, il a affirmé et prouvé son désir de ne nous causer aucun embarras, de nous aider même autant qu’il dépendait de lui, de nous éviter toute complication. Quand on est dans la peine, on est sensible aux bons procédés. Ce fut notre cas. Et par contre, je le dis franchement, l’attitude d’une partie de l’opinion française, depuis dix-huit mois, nous a désagréablement affectés, surtout après une série de manifestations russophiles, auxquelles, dans les années précédentes, on se livrait à tout propos, voire même hors de propos. Toutefois, je le répète, l’essence des relations entre la Russie et la France n’est pas modifiée. Je ne dis même pas que les sympathies soient diminuées. Je note seulement que les sympathies russo-allemandes se sont accrues. Quand de deux quantités l’une augmente et l’autre reste stationnaire, on a l’impression que la seconde diminue. Il n’en est rien cependant. Cette comparaison explique ma pensée quant à l’impression produite. A considérer le fond des choses, l’alliance franco-russe demeure conforme à l’intérêt des deux peuples. À cette alliance, il n’y a rien de changé, et il n’y faut rien changer. C’est mon opinion sincère.  » Tel a été le langage de M. Witte : ne valait-il pas la peine d’être reproduit intégralement, avec sa physionomie propre, ses réticences, ses sous-entendus, ses insinuations, ses affirmations ?

Il s’en dégage un reproche à notre adresse : l’avons-nous mérité ? Nous voulons croire qu’il provient de ce qu’on appelle un dépit amoureux, et expliquer par-là l’extrême disproportion qu’il y a entre ce que M. Witte exige de nous et ce dont il se contente de la part de l’Allemagne. Combien n’est-il pas plus sensible, plus susceptible, plus difficile d’humeur quand il s’agit de la France ? Il entend les moindres mots qu’on y prononce, même à demi-voix, mais il n’entend pas les bruits plus rudes venus plus d’une fois de l’autre côté du Rhin. C’est évidemment la marque d’une amitié d’autant plus exigeante qu’elle est plus vive. Nous pourrions, sans cela, être étonné que M. Witte ait été si « désagréablement affecté » de l’attitude d’une partie de l’opinion française, tandis qu’une attitude encore plus désobligeante, chez une partie encore plus considérable de l’opinion allemande, a été par lui inaperçue : il y était sans doute