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bien loin cependant, hors de comparaison avec les statistiques, sans cesse grossissantes, de nos annuaires.

Faut-il en conclure que, de toutes les administrations, l’administration britannique soit, comme on l’affirme couramment, la seule qui mérite d’être enviée par l’Europe pour avoir résolu le problème posé par Harpagon, à savoir de faire un bon dîner avec peu d’argent ? En aucune façon. La vérité est que l’état-major administratif anglo-indien présente, en effet, un contingent, à la fois très restreint et de qualité supérieure, mais que l’armée bureaucratique placée sous ses ordres est une des plus formidables qui existent ; fonctionnaires subalternes, commis, scribes de toutes catégories, pullulent, fourmillent, incroyablement. Dans les Offices de l’État, des légions d’Hindous griffonnent et, l’air majestueux, la mine grave, trônent derrière d’innombrables guichets. Leur flot monte, monte toujours, sans qu’on cherche, bien au contraire, à l’arrêter, car il n’y a pas de moyen plus efficace de tenir les classes dirigeantes et, par elles, la plèbe moutonnière, que d’embrigader beaucoup d’hommes castes dans les pacifiques cohortes de l’administration. Distribuer ainsi quelques centaines de mille roupies à des natifs intelligens et domestiqués, constitue un placement avantageux.

Je ne saurais évaluer exactement le nombre des indigènes marqués de l’estampille officielle ; mais, ayant eu la fantaisie de rechercher le nombre de ceux qu’on pourrait appeler les gros bonnets, — ou plutôt les gros turbans, — je veux dire ceux dont les traitemens varient entre douze et cent mille francs, j’en ai, sauf erreur, compté deux mille cinq cents. Comme on peut admettre que, vis-à-vis de ces derniers, les autres sont dans une proportion de 90 pour 100, vous voyez combien il est faux d’affirmer que le personnel administratif de l’Inde est réduit à un minimum extraordinaire.

Le principe est celui-ci : réserver aux métropolitains toutes les situations éminentes, tous les postes politiques et de confiance ; livrer généreusement les postes subalternes aux indigènes.

« Est-il un homme, a écrit lord Salisbury, qui oserait prétendre qu’il « ne voit rien d’impossible à nommer un Indien gouverneur, ou chef commissioner, ou commandant en chef, sans tenir compte de la race à laquelle il appartient ?… »

« Ne dissimulons pas hypocritement, écrit sir John Strachey,