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des morts. « Salut à toi, empereur ! » Dans cet hymne triomphal, enseigné par l’instituteur, se satisfait et s’apaise cette sorte d’essoufflement patriotique auquel aboutit la formation des petits Allemands.

Ici même, en 1891, Victor Cherbuliez appréciait le singulier programme d’enseignement historique que traçait pour les écoles d’outre-Rhin le publiciste Hermann Grimm, et le caractère à moitié mythique que devaient prêter aux récens événemens de l’histoire allemande les livres scolaires tels qu’Hermann Grimm les rêvait[1]. Pour appliquer ce programme, quelques maîtres zélés se mirent à remonter l’histoire d’Allemagne, « depuis le temps présent jusqu’à Charlemagne ; » un bien curieux manuel sortit de ce travail. Ce manuel interpelle la jeunesse allemande. « Réjouis-toi, lui dit-il, réjouis-toi du fond du cœur du sort qui fut réservé à ta chère patrie. Car tu possèdes maintenant ce qui longtemps, longtemps, n’a été pour tes pères qu’un désir prudent et pieux : un Empire allemand, un et pourtant divers à l’intérieur, puissant à l’extérieur, rempart de la paix et de la civilisation au milieu des autres peuples de la terre. » L’édifice national allemand, dont l’année 1871 acheva la construction, devient ainsi l’observatoire du haut duquel s’aperçoivent ou se devinent, resserrées par un effet de perspective grandiose, toutes les évolutions de l’histoire d’Allemagne. Dans un tel manuel, le souverain sur lequel on s’attarde le plus complaisamment, c’est Guillaume II, « qui s’efforce d’être juste et doux, d’être pieux ; qui craint Dieu, protège la paix, vient en aide aux pauvres et aux affligés, et demeure un fidèle gardien de la justice ; qui entretient une armée puissante, enfin, pour défendre la patrie contre les ennemis du dedans et du dehors. » De Hohenzollern en Hohenzollern, le dévot apologiste fait rétrograder son lecteur, transformant en rois soldats les princes qui le furent le moins ; l’empereur Frédéric III devient un militariste ; et dans la vie rêveuse et tourmentée de Frédéric-Guillaume IV, le trait qu’on détache pour l’inscrire dans les mémoires enfantines, c’est la part qu’il prit, tout jeune, aux guerres sacrées de la délivrance allemande. Il semble que ce manuel, en un relief très grossissant, mais fidèlement exact, nous montre le caractère de l’éducation nationale allemande, éducation militariste et monarchiste,

  1. Voyez la Revue du 1er novembre 1891, et dans la Revue Bleue, 1893, I, p. 763-765, un article de M. Guilland.