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En effet, il n’y a pas, il n’y a jamais eu et il n’y aura jamais de « people of India. » Cette expression, quoiqu’on s’en serve couramment, est un simple non-sens ; elle exprime une pure et simple fiction.

Au moment où les Anglais devinrent maîtres de l’immense continent, ils se trouvèrent en présence d’agglomérats humains nés du hasard des conquêtes et demeurés, par la seule force de l’habitude, en état de fragile cohésion, mais d’ailleurs absolument artificiels et ne répondant pas plus à un besoin national quelconque qu’à de logiques groupemens d’intérêts. Ici et là, comme des troupeaux parqués en des lots différens, des millions d’hommes étaient réunis sous l’autorité de chefs dont l’absolutisme se parait, suivant leur degré d’importance, de titres plus ou moins fastueux : princes, rajahs, nababs, sultans, empereurs ; et, depuis les temps historiques, les choses n’avaient cessé d’être ainsi, soit que les dominateurs fussent désignés sous le nom de Perses, Macédoniens ou Parthes, ou qu’ils se nommassent Tartares ou Mogols.

Néanmoins, — phénomène curieux, — cette énorme masse d’hommes, hétéroclite quant à la race et divisée par le jeu capricieux des événemens en de multiples tribus éparses, constamment prêtes à se disperser, créa une civilisation admirablement homogène, extraordinairement harmonieuse, qui, après avoir éclairé le monde pendant des siècles, est encore intacte et paraît inébranlable. D’un bout à l’autre de leur immense pays, des cimes éternellement glacées de l’Himalaya aux rives brûlantes du cap Comorin, les Hindous n’ont cessé de tourner les yeux vers le même idéal et de travailler, avec une persévérance inouïe, à construire, à fortifier un monument social qui leur fût commun.

De quelle manière expliquer ce mélange de docilité vis-à-vis de l’étranger conquérant et d’opiniâtreté énergique dans la défense de la personnalité ?

Par ce fait que le royaume auquel les Hindous font, dans leur cœur, le serment d’allégeance « n’est point de ce monde » et que le mobile, inspirateur de leurs pensées et de leurs actes, n’est pas d’essence politique ; c’est sur le seul fondement de la foi religieuse que la féodalité purement sociale fondée par eux a entassé les échelons innombrables de la hiérarchie millénaire.

Aussi, le gouvernement anglais n’eut-il pas à redouter de se