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du côté anglais, souplesse extrême du joug officiel et maintien implacable de la suprématie européenne.

D’où une illusion d’optique. Rien, en apparence, ne ressemble davantage à une colonie anglaise entrevue qu’une autre colonie anglaise, — partout la même architecture, le même stand, le même club ; tandis que rien, extérieurement, ne diffère davantage que deux colonies françaises, avec leurs changemens d’aspect, d’usages, d’existence. L’observateur superficiel et mal averti risque donc d’être victime d’un mirage, de voir l’opposé du réel et de se former une opinion contraire à la vérité.

Aussi, quand on veut comparer nos œuvres colonisatrices avec celles de nos émules et, de cette comparaison, essayer de tirer des enseignemens tant soit peu fructueux, il importe de se défendre contre un semblable danger d’erreur. C’est ce que je vais m’efforcer de faire, en demandant au lecteur de visiter avec moi l’un des champs d’expérimentation où l’ingénieuse et pratique activité des Anglo-Saxons a pu, mieux que partout ailleurs, se donner libre carrière : je veux parler de l’Inde, joyau du globe, immense et magnifique région dont le développement économique influence, par l’effet d’un choc en retour, la richesse et la prospérité britanniques.


I

L’Inde, abstraction faite de la Birmanie[1], est plus grande que l’Europe entière et beaucoup plus peuplée, puisque sa superficie est de 4 144 000 kilomètres carrés et le nombre de ses habitans d’à peu près 258 millions. Sir Alfred Lyall, dans ses Asiatics studies, me semble avoir très bien défini le point de vue auquel il convient de se placer pour en entreprendre l’étude : « Quand on saura, dit-il, sous quelle domination vit un individu, en quel pays il respire, on sera médiocrement éclairé à son égard ; on ignorera tout de sa nature physique et morale, de sa race, de son état social, de ses mœurs, de ses coutumes ; et parce qu’on connaîtra le gouvernement auquel il appartient en qualité de sujet, on ne sera pas mieux renseigné, car le gouvernement, résultat d’un concours de circonstances, n’est qu’un arrangement accidentel… »

  1. La Birmanie (haute et basse) a 750 000 kilomètres carrés de superficie et compte environ 8 millions d’habitans. (Voyez l’ouvrage de M. J. Strachey.)