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ses genoux. Il est évident que ce groupe a été conçu à l’imitation des Vierges de Pitié. La ressemblance est quelquefois frappante, comme dans l’ex-voto des La Tremoille, qui a figuré à l’Exposition des primitifs français.

Peintres, verriers, sculpteurs, graveurs reproduiront ce motif à l’envi jusqu’à une date avancée du XVIe siècle.

C’est ainsi que, dans l’art de la fin du moyen âge, la terre et le ciel s’unissent pour pleurer Jésus-Christ.

On voit avec quelle puissance incomparable l’art du moyen âge a su rendre la douleur. Car la douleur que cet art exprime, c’est la douleur élevée à l’absolu, portée jusqu’à l’infini, puisque c’est la Passion et la mort d’un Dieu. Que sont les autres deuils auprès de celui-là ? Certes, ce serait déjà une chose profondément touchante de voir une mère tenant sur ses genoux le cadavre de son fils, un jeune homme de trente-trois ans. Mais quand l’artiste du moyen âge songe que ce jeune homme, que les puissans de ce monde ont tué, fut le Juste par excellence et n’a pas commis d’autre crime que de dire : « Aimez-vous les uns les autres, » alors le cœur lui échappe. « Les hommes ont donc pu faire cela ! » — tel est le cri que semblent pousser tous nos vieux maîtres. Cet étonnement douloureux se renouvelant de génération en génération, voilà le principe de cet art admirable. C’est à cette profonde sincérité qu’il doit d’avoir conservé, après tant de siècles, toute sa puissance sur l’âme.

Émile Male.